Les enfants ont d’abord râlé. Quoi la Corrèze? Pourquoi ne retourne-t-on pas en Espagne ou en Toscane? Heureusement la piscine, la table de ping-pong et le baby-foot ont rapidement eu raison de leurs réticences. Et puis trouver une maison à louer en juillet pour douze personnes avec piscine, quand on s’y prend en juin, limite le champ des possibles. Voilà comment je me retrouve un samedi matin de juillet 2010, dans la supérette de Meymac, une liste de courses à la main, à la recherche de flocons d’avoine. Que de temps on perd dans un magasin qu’on ne connaît pas. Les rayons sont déserts, personne à qui demander un renseignement. Devant le rayon des pâtes et du riz, une silhouette familière. L’homme est de dos. Chemise bleue en fil, pantalon large gris, le cheveux est court et gris, le crâne légèrement dégarni, un morceau de papier dans la main gauche. Je m’arrête, retiens mon souffle, souhaite devenir invisible. Ne pas le déranger. L’animal a l’oreille fine. Il se retourne, me sourit franchement et, panier en plastique au bras, il se dirige vers le rayon où se trouve le produit indiqué sur la feuille de papier. A-t-il pensé en notant la liste des emplettes à acheter, ce matin ou était-ce hier soir, à ce qu’il devait aux Mésopotamiens? Tout est écriture. Pâtes, jambon, lessive, beurre, ampoules, comme la retranscription à l’aube de la journée de la veille, comme les mots de Faulkner, Caddy, Caddy, comme la mise au clair de ce qu’est la littérature en vue de la parlotte de Lagrasse. Noté sur un volant de voiture ou sur la table de peine, le mot est ce matériau avec lequel l’esprit se bat comme les mains affrontent le fer. Sur le parking de la supérette une 403 est garée. Il s’en approche et durant une minute ou deux reste là, immobile, à regarder ce modèle de voiture d’un autre temps.