Elle se tient là, assise sur le banc devant la maison de famille, comme elle s’y tenait lorsqu’elle était enfant. Mais elle n’est plus une enfant Ses cheveux courts sont aussi blancs qu’ils puissent l’être et font ressortir les montures de lunettes d’un rouge qui interpelle. Elle regarde droit devant. Comme si. Comme s’il y avait quelque chose à regarder. Un livre est posé sur le banc, à demi-ouvert, laissant voir le titre et le nom de l’auteur en caractères gras. Quelque chose de lourd sur les épaules l’enveloppe; elle se tasse sur le banc et laisse passer le temps.
Il sort de la maison voisine d’une dizaine de mètres. Il s’approche à pas lents, esquisse un sourire lorsqu’il est près d’elle. Les regards se croisent. Et derrière chaque regard il y a des souvenirs d’enfance qui remontent à la surface… Il y a longtemps que tu n’es pas venue. Elle referme le livre et l’invite à s’assoir sur le banc, comme avant. Il y a des gestes qu’on n’oublie pas.Puis il donne les nouvelles du village, les morts d’abord, puis les vivants, puis lui. Il ne pose pas de questions sur elle. Il ne pose jamais de questions, il laisse venir, il est prêt, il espère sans doute. Elle dit un peu, mais pas trop. Elle ne saurait par où commencer. Et pourtant elle espérait sa venue. Le mur de pierres renvoie de la chaleur dans le dos.
Ni l’un ni l’autre ne dira rien de ce qu’ils voudraient dire. Chacun a fait sa vie. Lui toujours ici, dans la maison de son enfance un peu réaménagée et rajeunie. Elle devant la maison familiale partagée avec son frère, où elle ne vient que très rarement. Rien ne se dit jamais, sinon le regret des jours de jeunesse, sans les lourdeurs de leur âge. Quelques souvenirs de gens du village, du temps qu’il fait, du c’était mieux avant, mais jamais des plus intimes. Elle n’a pas oublié. Et lui non plus. Elle regarde ses mains, celles d’un travailleur de la terre, celles d’un paysan qui n’a pas bougé de son village. Elle regarde les siennes qui n’ont rien à voir. Tout est dit.
Les mots seraient presque au bord de ses lèvres à elle. Il faudrait bien lui dire un jour . Avant qu’il ne soit trop tard. Il est passé déjà deux fois très près de la mort. Mais elle ne dira rien La prochaine fois peut-être. Tout n’est pas fini. Ils se contentent de la célébration d’un rituel. Celui de propos échangés avec parcimonie qui disent un peu. Un rituel de solitudes qui sont assises l’une près de l’autre.
« Rien ne se dit jamais, sinon le regret des jours de jeunesse, sans les lourdeurs de leur âge. »
tous ces mots tus, retenus, qui finissent par changer la face de nos vies… mais à quel moment choisir de les dire ?
merci Solange de me toucher ainsi
Merci Solange, si fréquent ce non-dit, dans nos vies. Au moins, écrire le dit.
Ce texte m’a beaucoup touchée. Merci.
« Tout n’est pas fini. Ils se contentent de la célébration d’un rituel. »
De rituel en rituel, ils se parlent sans parler…
Beau texte si sensible et si juste !
Merci de vos regards pleins de tendresse…