Il était assis sur une chaise en bois devant sa tasse de café, mais il n’était pas tout là. « Je ne sais pas encore », disait-il. Et il cherchait du regard un détail dans son champ qui puisse lui donner un élément de réponse. Le miroir derrière le comptoir, le distributeur de sucre en morceaux, le lampadaire dans la rue, le visage d’une inconnue. Quel que soit l’endroit où se posait son regard, la même incertitude le poussait à regarder ailleurs. Sa quête n’était pas terminée.
Je sentais que je devais lui donner un élément de réponse. Je ne savais pas si je pouvais l’aider, je ne savais pas si j’avais ce pouvoir. J’aurais aimé être en mesure de lui dire. « Non, pas encore, continue de revenir en arrière. » Ou bien, « ça y est maintenant, tu es revenu à zéro, tu peux repartir. » J’aurais aimé posséder le pouvoir de le regarder droit dans les yeux et de lui révéler ce qu’il avait à faire. Je crois que tout ce qui se trouve autour de nous aurait disparu dans un nuage de fumée blanche, que l’intérieur du bar avec ses scintillements, son agitation, ses couleurs et sa musique, tout ça se serait envolé pour nous laisser tous les deux face à face.
Mais aucun de nous deux n’avait la force de faire ça. Il fallait que je le garde intact, que je le préserve. Lui et moi savions que lorsque tout serait revenu à zéro, il le saurait de manière instinctive. Et moi aussi.
Qui étions-nous à vouloir avancer dans le sens inverse des choses ? Étions-nous deux fous dans un monde arrêté ? Ou les deux seuls êtres sensés dans un monde qui ne l’était pas ? Il ne m’a jamais rien dit de la raison qui l’avait poussé à revenir sur ses pas. Il ne m’a jamais rien dit à ce sujet, mais il m’a dit tant d’autres choses. Il parlait par cascades, les mots sortaient de sa bouche en se bousculant et inondaient les oreilles de ceux qui l’entendaient. Les mots s’envolaient pour nous envahir, ils tombaient sur la table et ruisselaient au sol, ils modifiaient la perception des choses rendant ici un éclat de lumière plus étincelant et là un reflet terne et insignifiant. Il revenait encore en arrière, il se dépouillait. Sur la chaise en bois à la table du bar, son corps transpirait le passé décomposé, se tortillant.
La notion manquante qui se fait mouvement, on le ressent très fort, et l’obligation à la suspension. Très beau.
Très réussi, je suis admirative.
« Qui étions-nous à vouloir avancer dans le sens inverse des choses ? »
et là, nous revenons vers une proposition qui nous a bousculés tous, aller à l’envers des choses…
magnifique dernier paragraphe !
« Les mots s’envolaient pour nous envahir, ils tombaient sur la table et ruisselaient au sol, »
(salut et merci JLuc)
J’aime beaucoup le passé décomposé…
Je trouve cette consigne très intéressante et les textes qui en jaillissent sont pleins de sensibilité.
J ai beaucoup aimé ce texte et surtout la danse finale des mots, incroyable !