#anthologie #16 | écouter son silence

Il était assis dos à la porte-fenêtre, à contre-jour et comme toujours quand ils étaient plusieurs, les familiers de la maison, ceux qui étaient leurs amis, évidemment, il se taisait, ne montrait rien, il écoutait ou semblait écouter, c’était comme s’il n’était pas là, qu’il avait posé son image à la limite du cercle.

Les voix se répondaient autour de lui, revenaient sur des moments, le mentionnaient lui en passant, lui attribuaient parfois des réactions supposées, n’attendaient pas qu’il corrige, qu’il précise, qu’il acquiesce, et elle, assise sur le sol en face de lui elle le regardait, elle attendait.

Elle aurait aimé qu’il réagisse, qu’il se désolidarise, qu’il sorte de son mutisme, mais rien c’était comme s’il avait sa pipe pour se retrancher. Elle aurait aimé qu’il dise ce qu’il pensait, elle voulait qu’il dise qu’il pensait ce qu’elle pensait.

Elle le fixait. Ce n’était pas possible, il ne pouvait pas être d’accord, pas toujours, pas à tout. Pourquoi se taisait-il ? Avait-il peur de choquer, de détruire cet unisson, de se montrer ? Ou bien était-ce par politesse, paresseuse, ou par dédain certainement par dédain, elle l’espérait, il ne pouvait pas avoir peur lui. Mais ne voyait-il pas qu’elle entendait et qu’elle elle ne pouvait rien dire, pas simplement parce qu’elle n’était qu’elle, un peu en fraude là, qu’ils étaient beaux et surs d’eux, conformes, mais parce qu’elle n’aurait pas su, pas trouvé les mots, qu’on ne l’aurait pas écoutée, que c’était elle la timide, qu’elle en avait le droit.

A propos de Brigitte Célérier

une des légendes du blog au quotidien, nous sommes très honorés de sa présence ici – à suivre notamment, dans sa ville d'Avignon, au moment du festival... voir son blog, s'abonner, commenter : Paumée.

5 commentaires à propos de “#anthologie #16 | écouter son silence”

  1. Brigitte, quel plaisir cette scène, quelle puissante délicatesse et quelle tension qui se ressent à la lacture. On a envie de l’aider, elle, de le secouer, lui, tout en sachant que rien ne pourra changer, que tout est déjà depuis et pour longtemps figé.

  2. On est bien dans la scène et dans les pensées du personnage féminin. Et on est en empathie avec elle.

  3. « un peu en fraude » comme j’aime cette image qui dit tout de cette femme coincée dans sa timidité… et dont on aimerait que la seule pensée le fasse bouger, lui, dont on devine l’indifférence, ayant « posé son image à la limite du cercle »…

  4. merci à vous (en fait je pensais qu’elle aurait voulu qu’il s’affirme davantage comme différent, plus directement humain)

  5. OSER ! il faut oser, mais elle n’ose pas et se torture parce l’autre ne dit rien. Bien vu ! merci.