Elle était assise sur la banquette du RER dans le sens de la marche. Aussi immobile qu’une statue de sel. Vivante néanmoins, car ses paupières renflées sur des yeux pâles, s’abaissaient, se relevaient et les cils recourbés, qui leur servaient de volets, semblaient dire « Non, non, non, non ». Non à quoi… à tout. Elle restait tendue, comme en attente d’une catastrophe qui peut-être surviendrait. Et c’était sûr, qu’elle surviendrait. Et tout son intérieur était aux aguets. Chétive, mais guerrière : imposante.
Il était face à elle, dans le sens contraire de la marche du train. Ce n’était pas la position idéale pour progresser, pour affronter, pour gagner du terrain. Il reculait quand elle, elle avançait. Elle avait l’atout. Quelle carte risquer : « Quand descendrez-vous ? » trop intrusif, « que lisez-vous ? », mais elle ne lisait pas, son livre était posé à côté d’elle, comme un objet délaissé, dont on voudrait se défaire, qui déjà ne fait plus partie de vous. Mais qu’elle bouge, croise les jambes, se frotte le nez ! Qu’elle l’apostrophe même ! Il était prêt à tout venant d’elle.
Lui était inquiet, mais disposé à s’ouvrir, à faire un brin de causette. Mais, mais, convenez-en, c’était à elle de faire le premier pas, celui qu’elle refusait de faire. On sait ce qu’il coûte parfois. Oserait-elle ? Briserait-elle sa croûte de sel ?
Mais enfin ? Ne le reconnaissait-elle pas ? Ce n’était pas la première fois qu’ils étaient assis face à face. Ils faisaient, l’un et l’autre, le trajet tous les jours. Et elle, toujours silencieuse, toujours immobile, avec ses paupières qui disait non et tout son être enclos dans une bulle qui n’éclatait jamais. Il en avait des choses accumulées à lui raconter, vite vite pour qu’elle ne puisse pas l’interrompre : le temps du jour peut-être, puis le beau film vu, puis son dernier voyage, ça l’intéresserait peut-être. Et puis, vite, vite : elle, elle, et encore elle, ses paupières aux longs cils, ses mains si délicates, le jour où elle portait une robe couleur myosotis, celui où elle lui avait souri. Si, si, c’était arrivé. Le sourire était-il pour lui ou pour elle-même ? Il ne le saurait jamais. Assise toute droite sur la banquette du RER, elle refusait de le voir. Elle n’osait pas. Et lui non plus.
ce silence rempli de non-dits, de désirs inavoués…
tout ce qui se trame dans un face à face…
j’ai adoré la mention « myosotis » pour la robe !
merci Émilie
Oh oui, myosotis a un goût de bonbon. Merci
Merci Émilie pour ce texte .cette rencontre…possible ! Le début de quelque chose ? Les non-dits en disent trop … on a hâte de savoir la suite …
Qui sait… Si une proposition l’appelle, il y aura peut-être une suite. Merci de votre lecture, Carole.