Il est assis sur le canapé, les yeux dans le vague, inoccupé. Il ne la regarde pas quand elle entre dans la pièce, il regarde, semble-t-il, toujours dans le vide, toujours inoccupé, occupé à jouer l’inoccupé, celui qui regarde dans le vague et qui n’a pas remarqué que quelqu’un était entré dans la pièce. Si elle lui dit un mot, comme « bonjour », il fera le surpris, celui qui était plongé profondément dans sa pensée et qui n’a pas vu, pas parce qu’il ne voulait pas voir, mais parce qu’il n’a vraiment pas vu, pas perçu, l’entrée de quelqu’un dans la pièce ; d’ailleurs ce « bonjour », pourquoi ne l’a-t-il pas dit ? Qu’y avait-il à perdre à le dire ? Mais maintenant c’était trop tard, il ne l’avait pas dit à temps et il fallait attendre les yeux dans le vide.
Elle ne voulait pas le déranger ; les yeux dans le vide, il semblait songer à quelque chose d’important. Elle l’aurait surpris, et elle aurait été mortifiée de le surprendre par un « bonjour ». Mais ne pas dire « bonjour » c’était ne pas respecter son existence, c’était l’ignorer peut-être. Peut-être que s’il arrêtait de regarder dans le vide, s’il reprenait pied dans la réalité, juste au moment où elle quitterait la pièce, il comprendrait alors qu’elle était là et qu’elle ne lui avait pas dit bonjour.
D’ailleurs, il avait dû bien l’entendre quand elle était entrée. Certes elle ne fait pas beaucoup de bruit quand elle marche, mais il avait dû l’entendre et il devait attendre, comme c’était elle qui était entrée, attendre pour voir si elle allait respecter son existence à lui, qui était déjà dans la pièce.
Après tout, elle n’était pas encore tout à fait dans la pièce, elle était dans l’encadrement de la porte, tant qu’elle n’avait pas franchi le seuil de manière plus évidente, le « bonjour » n’était pas obligatoire. Il y en a bien qui disent « bonjour » sans même vraiment entrer dans la pièce, juste en passant la tête, ou comme ça au passage, mais ce n’était pas obligatoire de dire bonjour dans ces conditions. Il pouvait attendre qu’elle entre pleinement dans la pièce et là il verrait.
Le plus simple évidemment serait qu’elle n’entre pas dans la pièce, qu’elle aille faire autre chose et puis qu’elle revienne, l’air de rien, comme ça elle pourrait rentrer, elle pourrait dire « bonjour », il pourrait lui dire « bonjour », ou peut-être même serait-il déjà parti, il serait peut-être même en dehors de sa tête, en conversation avec quelqu’un d’autre, alors là peut-être pourraient-ils se dire bonjour, ou pas d’ailleurs, s’il est plongé dans une conversation avec quelqu’un d’autre, si elle arrive, préoccupée elle aussi en arrivant dans la pièce. Il faudrait que quelqu’un d’autre entre à sa place, avant elle.
… lu en ayant complètement oublié sur l’instant la consigne 16…texte qui parle de lui-même, de mille choses intimes et de l’universel du lien… et cette fluidité de l’écriture sur la non rencontre , merci beaucoup.