#anthologie # 14 | sava savatoi savabien

Le plus souvent, cela passe, cela glisse, c’est un « sava » rapide, sans intérêt, on répond immédiatement, comme par réflexe, comme une demande d’excuse. On répond « touvabien », « oui », on renvoie comme un miroir, le « sava » où l’interrogation est passée en exclamation, suivie d’un « etoi » qui ne préoccupe pas non plus de la réponse. Ce serait comme serrer une main sans sentir la sueur, ni le gras ni la mollesse, ni le désir de domination.

L’intonation de l’interrogation, un bref arrêt, presque, laisse un vide, suscite une attente, le corps de l’autre s’arrête, se tourne, s’ouvre. Une injonction est là, elle est douce, rien ne l’arrête. On est retourné vers le dedans, on est devenu celui qui pose la question. Le plus souvent, on arrive à ne pas glisser, à se sauver de soi-même. Cela n’entame par le corps, c’est une petite griffe, une douleur brève, l’orteil qui cogne contre un pied de table. Une réponse acceptable, un « sava  » lent, accompagné d’une ou deux phrases, est accommodée.

Ce n’est même pas le ton, ce n’est même pas le rythme, c’est le « sava  »  qui suppose que ça ne va pas, le « sava  » qui suit un regard attentif, pénétrant. Il y a eu examen, diagnostic. Le spécialiste d’un coup d’œil sait, comme un voyant. Celui qui pose les questions veut votre bien, prêt à vous aider, à vous conseiller des conseils précieux. Je connais quelqu’un. Tu devrais. Aller. Faire. Arrêter. Sisyphe doit lâcher prise. Le mineur de fond doit prendre le soleil. C’est une question de début d’interrogatoire. Votre culpabilité est certaine. Il faut inventer, se livrer partiellement, les idées sont là, elles foisonnent. En lâcher quelques-unes. Mais ce qu’on a dit sans trop y penser devient vrai, « savapas » .

« savabien dans votre tête » le médecin aux armées chargé de l’examen des vaccins dit cela tout d’un coup, sans hésitation, par surprise. Pensées en cascade. Est-ce qu’il m’a démasqué ? est-ce qu’il sait ce que je ne sais pas de moi ? Que répondre ? Feindre l’étonnement, donner du grain à moudre, pour faire diversion ? Répondre comme si de rien n’était, comme si la question n’avait rien d’incongru ? Mais alors peut-être est-ce accepter le jeu de la folie ?

Elle arrive avec amour, tout l’amour possible, une lame de fond, « savadanstavi » . Les convenances ne sont d’aucun secours. On a toute sa vie devant soi. À plat. Sans demain. Le mur du désastre. Nulle faille. On est dans l’heure où les choses sont pesées. Il n’y a plus qu’à partir.

A propos de Tristan Mat

Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. A la main. Site http://www.tristanmat.net/ Profil Facebook: https://www.facebook.com/tristan.mat.735