Sans la nommer. Je voudrais vous parler d’elle. Mais chaque mot que je prononce contient son nom, sa présence. Je ne sais que parler. Si je parle, je parle d’elle.
Sans la nommer. Je voudrais vous parler mais je dois me taire. Taire sa façon de marcher, taire sa façon de croire, de porter une robe d’été, de laisser ses yeux se perdre dans le rien, taire sa façon de manger un fruit mûr et lécher ses doigts.
Sans la nommer. Je voudrais vous parler d’elle. Sans rien dire des petits riens qui situent les écoles dans leurs banlieues, les routes vers les maisons, les fleuves à travers les villes, les époques, les ciels.
Sans la nommer. Je voudrais dire les instants. Mes paroles trouées s’inscrivent dans la fiction. Son nom s’efface, il s’éloigne, il n’existe plus. Dans l’ombre, sa silhouette penchée vers vous, vivante.
Sans la nommer. Je voudrais entendre ses questions, tout ce que nous ses amies avons adoré, son mystère, sa manière d’aborder les choses, sa voix, une façon de froncer les sourcils mécontente de nos initiatives.
Sans la nommer. Je voudrais lister tous les pays parcourus seule ou avec ses amies de voyage : la Grèce, la Turquie, la Malaisie, l’Indonésie, L’Égypte, le Liban, la Jordanie, la Colombie, l’Argentine, le Mexique, les États-Unis, la Thaïlande, le Maroc, la Tunisie, l’Espagne, l’Italie, les pays de l’Europe de l’Est, quelques pays de l’Europe du Nord. À propos de la Chine, ayant abandonné mon tour de voyage avec elle, je ne sais plus si elle a maintenu la destination.
Sans la nommer. Je voudrais parler longtemps. Dire et encore. Tout ce qui est et tout ce qui est oublié. L’amitié amochée, la maladie et le dernier soir d’été avant le coup de fil. Les mot de l’annonce sans surprise Hier, à l’heure des feux d’artifices.
La fin, comme une guillotine, dure, mais touchante. Et ces feux d’artifice, comme dernier salut, célébration de celle qu’elle était ? Et la fin, encore, qui ramène à revenir au début du texte pour mieux encore s’approprier les phrases, les paragraphes, qui à la première lecture laissent planer le doute, un mystère, qui est-elle, on veut savoir, et puis cette impression de mieux la connaître à la seconde lecture.
Merci, et bravo pour votre ténacité dans tenir le rythme de l’atelier.
Joie de partager ces moments d’écriture-lecture avec vous.
superbe (et le détail de ces « paroles trouées »)
Très beau, et vraiment ce fil conducteur de l’amie malade qu’on suit. Qu’on sent que tu fouilles, poursuis, étire. On le suit aussi
« Mes paroles trouées s’inscrivent dans la fiction. Son nom s’efface, il s’éloigne, il n’existe plus. » – vraiment très bien vu, j’espère que vous allez continuer à écrire sur elle
Merci de vos retours de lectures,
Ils sont très aidants pour un projet en cours sur une base moulte fois reprise puis laissée depuis plus longtemps encore, et… qui avance bien, (quel mot !) en tout cas qui avance
beaucoup d’émotion à te lire, merci!