#anthologie #14 | mais non 

« Mais non. » Je ne l’avais plus revue depuis l’école primaire… J’étais amoureux d’elle, tu sais de cet amour d’enfant qui est sans concession et que rien ne peut écorner… Et là, j’arrive en haut de l’Empire State, la porte de l’ascenseur s’ouvre et qui je vois en face de moi ?

« Mais non ? » Je les ai cherchées toute la matinée, j’ai enlevé les coussins, j’ai regardé sous le tapis… J’ai refait plusieurs fois les trajets que je fais chez moi le plus souvent : chambre/toilettes, canapé/cuisine, buanderie/salon… J’ai vidé les tiroirs du buffet, on sait jamais, elles auraient pu tomber par inadvertance… Et là, je vois les clefs posées en évidence sur la table de la cuisine.

« Mais non ??? » Je marchais tranquillement dans la forêt, j’étais seul, je respirais à pleins poumons… Je me disais que je devrais venir plus souvent me balader dans le coin, ça faisait longtemps que j’y avais plus mis les pieds… Quoi ? Dix ans peut-être ? La dernière fois, je m’en rappelle, j’avais perdu la montre que mon grand-père m’avait donnée… Et là, tu me crois ou pas, je donne un coup de pied dans un tas de feuilles et qu’est-ce que je vois ?

« Mais noooooooon ??? » Pour patienter avant que l’épreuve ne commence, je lisais des annales avec les sujets qui étaient tombés les années précédentes… Je me souviens, il s’agissait d’un problème de physique nucléaire… Le surveillant entre, nous demande de ranger ce qui doit l’être, il distribue les sujets… Et là, qu’est-ce que je lis, avec exactement les mêmes données ? J’ai écrit la solution avant même de faire la démonstration.

« Mééééénooon ????? » Elle portait les draps en boule mais un coin trainait par terre. Au moment où elle s’apprête à descendre l’escalier, elle marche dessus et bascule la tête la première dans le vide… Je ne sais pas pourquoi j’étais là, en dessous… Je la vois arriver et je sais pas pourquoi, je parviens à lui mettre la main sous la nuque alors qu’elle est encore en l’air et je la fais pivoter sur elle-même… Tu sais, comme les parades des gymnastes… Finalement, elle tombe sur les fesses.

Quelque part, un homme sort de l’ascenseur de l’Empire State et ne rencontre aucune connaissance, il n’a pas perdu ses clés non plus, n’a jamais retrouvé la montre du grand-père, s’est planté à l’épreuve de physique du baccalauréat et sa femme est morte devant lui en tombant dans l’escalier. Mais si, c’est possible.

Mais non, tu n’y crois pas. Ça se voit dans ton regard que tu n’y crois pas. Tu te dis que ce n’est pas possible, que la probabilité que ça arrive est quasiment nulle. Mais non. Tu étudies calmement la chose le soir dans ton lit juste avant de t’endormir. Une de ces histoires peut arriver, par hasard, c’est possible. Allez, deux, soit magnanime. Mais cinq ? Tu le sais qu’il raconte des histoires, il aime bien parler, il aime bien faire l’intéressant. Il aime bien qu’on lui porte de l’attention. Tu crois qu’il souffre peut-être d’un mal plus profond, une dépression où un truc comme ça. Tu espères que ce n’est pas une maladie incurable. Il va sûrement mourir d’un cancer dans les prochaines années. Du coup, tu as bien fait de ne rien dire. Tu as bien fait de faire semblant de le croire, il faut lui laisser cette liberté. Tu te rends compte si tu lui avais dit d’arrêter de débiter des mensonges ? Tu t’en serais voulu à son enterrement. Tu t’en serais voulu de lui avoir brisé ses rêves. Mais non ?

Quelque part, deux hommes ne se parlent pas assis à la terrasse d’un café. Ils ne se sont jamais connus, ils ne sont pas amis.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

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