« Ce sont des choses qui arrivent »… Et on voit une main se poser sur son épaule, imprimer une pression qui se voudrait rassurante. Et la main se retire comme satisfaite de la mission dont on l’avait investie. Et elle sort une cigarette d’un paquet posé sur la table du café ou elle joue avec un pendentif ou toute autre chose que vous ne remarquez pas. Vous ne le pourriez pas, vos larmes épaisses se préparent à couler. Et la main continue à parler de sa vie, de la vie, de la vie des autres. Vous restez seule avec votre vie. Seule mais accompagnée.
« Ce sont des choses qui arrivent »… Penché sur le moteur, les mains couvertes d’huile quotidienne, il ne vous abandonne pas une seconde de silence . A vos oreilles, les mots se chevauchent pour former une nouvelle langue dont les sonorités ne vous sont pas inconnues mais dont l’ensemble pourtant vous échappe. Carburateur fusionne avec courroie de transmission, alternateur avec plaquettes de frein, radiateur avec ressort de soupape. A cet instant, vous comprenez qu’il va se redresser, offrir une moue dubitative, rappeler l’année de fabrication du véhicule, rappeler qu’il y a toujours eu ce problème sur ce modèle, rappeler que particulièrement sur cette série, rappeler qu’il a téléphoné à plusieurs de ses collègues dans le coin pour savoir si. Vous-même vous ne voulez pas savoir si. Vous voulez juste qu’il ferme sa gueule.
« Ce sont des choses qui arrivent »… Elle laisse s’affaler des points de suspension lestés d’ironie. Vous ne savez quoi répondre. Car, quoi que vous répondiez, elle s’en servira pour confirmer ses propos, valider sa pensée, étayer son raisonnement. Car, elle est convaincue qu’elle tient des propos légitimes, construit une pensée originale, maîtrise un raisonnement singulier. Alors, au milieu du brouhaha, vous commandez un autre Perrier en même temps qu’elle commande un autre Pastis.
« Ce sont des choses qui arrivent »… La petite dame fixe l’employée qui lui redit que ce sont des choses qui arrivent, qu’on va trouver une solution, que bien sûr l’ancienne carte bancaire n’est plus valable, que parfois du courrier s’égare, que la banque n’y peut rien, qu’il y a tout le temps des problèmes avec la poste, qu’on a déjà eu le cas, que la banque n’y peut rien, qu’elle pourrait essayer demander à un voisin de lui prêter en attendant. Ou à quelqu’un de la famille. Ou à un commerçant. Tout le monde la connaît dans le quartier. La petite dame tourne la tête vers une grande affiche publicitaire à côté du comptoir. Un jeune couple, tout sourire, y cuit des saucisses sur un barbecue. Ou plutôt l’homme s’occupe des saucisses et la femme tient une planche avec des lamelles de poivrons et d’aubergines. La petite dame plisse les yeux pour lire le slogan tout en lettres blanches sur ciel bleu : « Grâce à votre banque, tout peut vous arriver. Surtout le bonheur. »
« Ce sont des choses qui arrivent »… Il a l’air embarrassé, oui, on peut dire qu’il a l’air embarrassé. Sans plus. Il doit songer qu’il a encore trois rendez-vous avec des parents d’élèves et une réunion pédagogique. Il est « désolé, vraiment désolé », oui, « on est vigilant pourtant », oui mais « on ne peut pas être derrière chaque élève dans la cour ». Oui. En attendant, vous allez prendre congé toute la semaine pour vous occuper de votre gamine qui reste muette depuis deux jours, vissée à son smartphone et à Tik Tok qui, seul, semble lui apporter du réconfort.
J’ai souri et même ri à la lecture de ces anecdotes qui résonnent dans la vie de tout un chacun… ce sont des choses qui arrivent… et on dirait que ça serait le début d’une longue liste, échantillons d’une époque ou/et d’un lieu… merci!
On préfèrerait ne pas
C’est effectivement le début d’une longue liste d’un projet qui n’a jamais vu le jour.
Merci pour la lecture.
« Et la main continue à parler de sa vie » avec cette expression, tellement ça ! merci Claude
Oh merci Gracia d’être venue faire un tour. Je t’embrasse