Lui, on le voit de loin, toujours bouillonnant, au bord de, malaxant un bourdonnement de phrase, et quand on s’approche, on perçoit une bouillie de… «J’t’en foutrais, moi… », il reprend les bouts de phrases de ce qu’il entend, veut bien entendre, capte, Grande Oreille, et de façon comique, il ferait un carton s’il n’était pas si enfermé sur lui-même, vouté, affalé, échoué au bord de cette table, pas toujours la même, dans ce tabac, au milieu des autres, les reprenant, les haussant, donnant une rotondité à leurs mots, une sonorité nouvelle, une pose emphatique, qui le faisait glousser en toussant, s’enroulant dans sa toux, crachotant, dommage, un premier «J’t’en foutrais, moi… des j’t’aime par-ci, j’t’aime par-là», inaugurant sa matinée.
Le Père ne disait rien depuis un moment, il n’en pensait pas moins, il tenait à le montrer, en arborant une expression incrédule et moqueuse. Puis finit par sortir un méchant «J’t’en foutrais, moi, des j’t’aime par-ci, des j’t’aime par-là». Silence. La fille s’arrêta net de parler, d’essayer de lui dire, une fois de plus, une fois qui n’aurait plus lieu.
L’ami se pencha sur l’homme, qui, au moment de mourir, se plaint une dernière fois, la voix à peine audible : «Tu vois, elle est pas venue. J’t’en foutrais, moi, de ses j’t’aime par-ci, j’t’aime par-là» et lui ferma les yeux.
La fille entoura d’une jambe le torse de son amant, approcha ses lèvres et lui susurra à l’oreille dans un souffle qui se voulait ardent, «J’t’en foutrais, moi, des j’t’aime par-ci, j’t’aime par-là. Prouve ! »
Le mari surprit sa jeune femme, épousée de la veille, avec son professeur de langue, il leur jeta, avant de casser la gueule à l’intrus : «J’vous en foutrais, moi, des j’t’’aime par-ci, j’t’’aime par-là.»
choix décapant !
Superbe !
Merci
Merci de vos lectures, je me suis bien amusée