Entre chien et loup. C’était son expression favorite. Il la disait avec envie , avec crainte, respect peut-être aussi. Ce moment où tout peut basculer, où le jour se détricote en quelques minutes et rien ne peut interrompre sa fin. Ce moment où l’on ne peut sans doute rien faire d’autre que s’accouder à un bar et boire ce qu’il reste de jour, réel ou irréel, contraint de voir le contour des choses s’effacer, avec des compagnons d’infortune appuyés eux-aussi à ce zinc, une main serrée autour d’un verre dont ils ne savent plus de quelle vie il est empli, et de l’autre, tapoter le comptoir, tentant de retrouver ce rythme de blues qui les enfoncera davantage dans cette mélancolie dont ils ne peuvent s’absoudre, en laissant les échardes écorcher à nouveau leur mémoire. Attendre que cela passe, même si rien ne passe. Il disait aussi entre chien et loup, on ne peut mentir ou alors on raconte des histoires à dormir debout, des fables, des récits fabuleux et grotesques, ou des errances de voyageur égaré. La mer aurait baigné cette ville, il se serait tenu des heures devant, à fixer un point sur l’horizon jusqu’au délire. Mais de mer nulle trace, alors il fixait le liquide ambré qu’il faisait tanguer dans son verre, laissant ses pensées voguer au cœur des évocations d’un temps où il se croyait heureux . Cette ville n’en finissait pas d’abriter cette litanie de souvenirs qui se brisaient sur les joues des maisons longées au hasard de ses errances.
À l’expression entre chien et loup , elle préfère sa version italienne qui est plus évocatrice de sa vision du monde , tra il lusco e il brusco – entre le louche et l’obscurci – ce qui, pour elle, est sa propre vision du monde , même en pleine lumière. Elle crée même sa propre manière de dire, plus fidèle à ce qu’elle ressent, tra lo sfumato e l’’oscuro – entre le flou et l’obscur – : c’est ainsi qu’elle fixe le quotidien, qu’elle traverse les jours ou que les jours la traversent. Dans cette vibration des images que l’œil perçoit, se mêle une sorte d’ambiguïté ou de paradoxe, qui rend tout incertain. Comme lorsque l’on fixe ces pierres granuleuses où l’œil s’égare entre les fractures, les creux, les épaisseurs et qu’apparaissent des formes, des visages, une sorte de présence. Elle aime les photographier et laisser se révéler ces apparitions qui n’attendaient que ce déclic pour se dévoiler et la laisser glisser dans un temps qui n’existe pas. Lorsque la nuit empoigne le jour, elle retrouve cette carte d’ intensité.
Entre chien et loup, à la merci d’une pause, d’un regard en taille-douce, une confidence peut-être serait faite. Quelque chose qui s’élèverait des profondeurs d’un abîme. Une clarté qui palpiterait encore. Ailleurs s’écrivent des histoires joyeuses ou merveilleuses. Ici on reste dans l’enclos où se tiennent les pensées d’ombre. Ce qui gît au sol des forêts, sous la mousse et les feuilles mortes. Fantômes d’un avant qui s’absente en douceur. On les regarde comme s’ils avaient une parole à nous confier.
Entre chien et loup, c’est le silence d’un souffle quand le jour se dérobe et que les barques d’ombres accostent, plurielles et singulières. On se tient, dans cet entre-deux lorsque l’immensité sombre s’insinue comme une haleine, et qu’un ciel de suie, s’étale sur le sol glissant sous les buissons tel un serpent, entrainant dans sa crue des rêveries de craie. On se dit qu’il faut se tenir debout, dans ce parfum gris qui ne sait rien encore de l’étreinte et sauver ce qu’il reste de jour quand un goût de crépuscule salive déjà sur les lèvres.
Entre chien et loup, tout est possible. Le pire comme le meilleur. Lâcher prise et laisser faire. Plus le temps de tirer le vrai du faux. Tout est déjà dit. Un ange passe. Garder la tête froide. S’en tenir là. À chaque jour suffit sa peine. Demain est un autre jour.
Les deux premiers fragments sont issus d’un texte écrit pour l’atelier d’écriture de l’été 2018, publié dans le livre « Je vous parlerai d’une autre nuit, publié chez Tiers-Livre éditeur. Les deux suivants sont des poèmes postés sur mon blog. Et pour le dernier il n’y a pas grand chose à en dire…Je ne pense pas avoir respecté la consigne, mais j’ai participé…
. ».parler d’une autre nuit… attendre que cela passe même si rien ne se passe… » s’il faut nous préparer à des jours sombres, nous sommes parés avec ce texte, « rien à attendre, lâcher prise et laisser faire ». merci beaucoup!
Je trouve beaucoup de matière dans ces cinq fragments, consigne ou pas… discussion régulière mais sans importance première,le texte est vici et vous nous le présenter
, j’aime les passages poétiques, je suis sûre que dans un entremêlement des rêveries avec les textes de fiction du début — l’homme qui va sans peine et la femme au regard myope – vous tenez une piste pour aller plus loin avec eux deux,
Belle suite,
C