« Fais comme tu veux », dit-il. La phrase tombe, sèche et tranchante, dans l’air déjà saturé de sous-entendus. L’intonation, elle n’est pas à prendre à la légère, malgré le ton de la plaisanterie, mais une plaisanterie qui porte en elle cette pointe d’ironie, si subtile qu’elle pourrait presque passer inaperçue. Elle est là, indéniable, une ironie qui se déguste froide, qui s’insinue dans les interstices du dialogue comme un courant d’air glacé. Oui, il me laisse faire à ma guise, mais c’est un laissez-passer chargé de menaces voilées. À mes risques et périls, comme on lance un défi à un type qui ignore qu’il a déjà perdu. Et les conséquences, ah, les conséquences… Elles seront miennes, toutes miennes. Si le sort s’acharne, si le destin se montre cruel, ce sera tant pis pour moi. Pas d’épaule compatissante sur laquelle pleurer, pas de main secourable pour me relever. Non, rien de tout cela. Juste le poids de ma décision hâtive, Et si l’on venait à parler de moi, ce serait pour dire : « C’est sa faute, il n’a que ce qu’il mérite ». Aucun « Mon pauvre vieux, t’es vraiment pas verni », non, aucune compassion. Juste le silence et le regard de ceux qui me font comprendre que je suis le seul à blâmer dans cette affaire.
« Fais comme tu veux », c’est ce que je laisse échapper, d’une voix qui se veut légère, presque indifférente. Mais au fond, je suis presque en colère. Pourquoi viens-tu à moi avec cette demande, comme si j’étais capable de décider pour toi ? La confiance que tu m’accordes est bien trop lourde à porter. J’ignorais jusqu’à aujourd’hui que tu me considérais comme un ami aussi proche, avec tant de pouvoir. Je préfère garder un peu de distance et botter en touche. C’est une responsabilité qui me dépasse, qui me terrifie. Crois-tu vraiment que je suis le genre de type qui peut répondre à une telle question ! Déjà que je peine à faire mes propres choix, et que ceux déjà fait ne m’ont amené que des soucis, comment pourrais-je choisir pour toi ? Mieux vaut que tu suives ton propre chemin, que tu écoutes cette petite voix qui est la tienne. Et si tu n’entends rien, mieux vaut t’’en remettre au hasard, je n’ai pas de dé ni de pièce, et même si j’en avais, je ne te les prêterais pas, tu pourrais par la suite m’accuser de je ne sais quel subterfuge de magicien, je ne veux être associé ni de près, ni de loin, à ce choix cornélien. Ainsi, fais comme tu veux et fous-moi la paix.
« Fais comme tu veux » dit-elle, avec une nonchalance étudiée, sans que je puisse lire si, derrière cette phrase, elle préfèrerait l’un ou l’autre. Je n’ai jamais réussi à deviner ce qu’elle cherche à dire derrière des phrases pareilles. Je suis là, scrutant les profondeurs de son regard, cherchant un indice, un signe, quelque chose qui me dirait ce qu’elle préfère vraiment. D’ordinaire, avec d’autres, je sais lire entre les lignes, anticiper les pensées, déjouer les sous-entendus avant même qu’ils ne s’infiltrent dans l’air, ce qui me permet d’avoir toujours un coup d’avance, et désamorce tant d’angoisse. Mais avec elle, je tombe toujours à côté, mes talents habituels de déchiffreur de silences semblent s’évaporer. Je suis paralysé par la peur de mal faire, de mal choisir. Alors je reste là, figé face à son attente illisble, le temps parait bien long. Je détourne le regard, à droite, à gauche, je presse mes lèvres l’une contre l’autre, je mâchonne le bout de mes ongles, tentant vainement d’occuper mon corps immobile pour simuler une réflexion profonde. Mais la vérité, c’est que je suis complètement perdu, j’ignore ce qu’elle désire ! Comment faire comme je veux quand ce que je veux vraiment, c’est répondre à son désir caché, tout en restant là, incertain et silencieux, espérant qu’elle me confie ses pensées sans avoir à les formuler ?