#anthologie #13 | Square

On dirait une place. On dirait un banc sur la place. On dirait que le banc est tantôt occupé par une vieille femme, puis par un vieil homme, puis par deux enfants qui enfilent un sandwich, aucun parent en vue, la liberté. On dirait qu’il y a un square face au banc comme souvent, les rues et les places donnent sur des squares. On dirait que ce square est étrangement étiré telle une promenade et aussi en pente, quand les squares sont souvent plutôt circulaires et plats. On dirait que cette confusion entre le square et la promenade laisse perplexe le passant détaillant le petit panneau vert, indiquant « square »  au motif que l’allée est fermée aux deux bouts, quand on aurait bien dit tout de même « promenade ». On dirait que le passant, s’adresse à une femme venue sur le banc, l’interrogeant en vue de confirmer qu’il s’agit d’un square et non d’une promenade et s’attristant, le crépuscule venant, de la perspective de sa fermeture prochaine et de la multiplication plus globale des confinements et clôtures, relevant dans le square, le symptôme, d’une nouvelle progression dans l’artificialisation de la promenade et partant – on noterait que l’expression « partant » que l’on trouve par ailleurs particulièrement laide est en ces temps chérie de tout orateur, chroniqueur et plus globalement amateur de phrases longues – de l’environnement dans son entier. Sente, sentier, rue, promenade, square, arène, cellule. Puis la renaturation sournoise. Cellule, trou de souris, galerie, termitière. Et toc. On dirait que la femme au chignon haut, aux pommettes étirées, hoche poliment la tête et peine à masquer sa gêne face à cette bulle de paroles qui soudainement enfle et paraît crépiter à l’orée de son visage. On dirait qu’elle a un tailleur vichy, on dirait qu’en contrebas du cimetière, un tel tailleur en été peut annoncer tous les crépuscules, le soir, l’automne, la fin des temps. On dirait que l’on ne cherche pas toujours au bon endroit le signe de la fin des temps. On a omis de préciser tout en le suggérant qu’on dirait que le square et partant indirectement aussi, la place qui le précède, borde un cimetière juché sur une colline. On y trouve une table de ping pong, on y trouve des corps étendus sur la pelouse, aussi un homme qui fait face à la place, immobile le regard vers le bas, donnant à penser qu’il est présentement en train d’uriner sur les plantes, quand il pourrait tout aussi bien, derrière le rideau de feuilles qui le masque aux yeux des passants, observer la carapace grise d’un cloporte se frayant un chemin à travers la grille. On dirait que les troncs des platanes sont larges. On dirait que la rue qui sépare le square de la place et descend au loin vers une autre place longeant le square et le mur du cimetière est fréquentée, qu’y circulent aussi bien des vélos, des motocyclettes que des voitures thermiques ou électriques, émettant pour ces dernières un drôle de bruit de ressort à l’accélération. On dirait qu’un homme de taille moyenne pédale avec énergie sur un vélo électrique, porte une barbe courte, un teddy blanc et un pantalon de toile écrue. On dirait que derrière la place sont aussi des bars en terrasse, des restaurants japonais, un espace de jeu, que des hommes et des femmes y sont assis, que certains fument et d’autres boivent et que derrière encore, d’autres rues s’étirent en pente, que l’univers entier ici semble pentu en équilibre instable et que chacun contient la pulsion qui conduirait à se laisser aller, à dévaler les rues lourd comme un boulet, léger comme un fétu. On dirait que le vaste cimetière invisible derrière les hauts murs colore la place, le square, les terrasses, que derrière les conversations et le roulis des voitures, au-dessus, ou bien tout autour se lève un grand soupir. On dirait que soudain tout tournoie et glisse vers une autre place en contrebas, se retrouvant exactement dans la même position, laissant le square vide à la seule exception de quelques platanes et cloportes et, coulant sur la chaussée, d’un filet d’urine.

A propos de Marion T.

Après tout : et pourquoi pas ?

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