#anthologie #13 | Sans prétention

Bar tabac Santa Guilia sans prétention, plutôt populaire,  on y joue à l’intérieur aux courses, on y achète son tabac, on donne des grilles de loto au patron qui les enregistre, on boit un verre ou un café. Emplacement stratégique, sur l’avenue des C., en face du boulevard Cassini qui monte et de la rue Lacepède qui part en oblique vers le parc et le métro. Bar tabac situé entre le caviste, le serrurier, à côté d’une ancienne boucherie traditionnelle fermée et de la boutique de cigarette électronique. Un lieu que je fréquente souvent pour y lire le journal qui m’attend tous les jours et boire un café. Je m’installe sur la petite terrasse couverte qui borde l’avenue, séparée par le trottoir du bar. J’attends le journal ce matin car la voisine obèse, prof de philosophie en arrêt maladie, fait les mots croisés des dernières pages. Alors j’observe. Souvent des effluves de tabac viennent de l’intérieur où l’interdiction de fumer n’est pas entrée dans les habitudes des consommateurs et du patron. Un écran télé est toujours allumé dans le bar, des tubes récents, que je ne connais pas. Je regarde les passants sur le trottoir, mère de famille à poussette, bande de collégiens, ados à deux sur une trottinette, couples âgés qui marchent lentement, veille femme au cabas qui discute avec des voisines, femmes pressées qui tirent sur leur fine cigarette électronique, enfant qui précède son père sur un vélo à trois roues qui crie de joie, jeunes femmes en claquettes, bas de pyjama et haut échancré, aux lèvres opérées comme deux saucisses qui déforment leur visage, jeune homme tatoué en short mi long, femme qui se dispute au téléphone qu’elle a mis en haut parleur, qui s’énerve et insulte son interlocuteur…Et sur l’avenue, défilé ponctuel au grès du feu rouge de bus, de camions qui viennent décharger leur marchandises ou qui bloquent la rue en s’arrêtant en double file, véhicules de toute sorte, piétons qui traversent hors des clous dès que c’est possible. En face du café, un magasin de maroquinerie tenu par une femme qui ne doit avoir autour de 80 ans. Je me demande comment elle tient le coup, peut-être qu’il y a 25 ans sa boutique marchait bien mais là, elle est toujours déserte et elle est souvent sur le trottoir devant sa boutique à fumer. Le patron m’amène mon café, il sait que je n’y mets jamais de sucre mais il en apporte toujours, il dépose une cuillère dedans, peut-être par flemme de changer ses automatismes. Le café est bon au Santa Giuila, il est meilleur que celui du grand café plus haut qui borde le grand carrefour. C’est un café corse, tenu par un corse, Vincent ou Vincente, son nom Santa Giuilia en l’honneur d’une Sainte Julie ou en référence au quartier de Porto-vecchio ? Sur sa devanture, une devise est inscrite en belles lettrines : « Patti chjari amici clari », les choses claires font les bons amis. Mon café refroidit un peu et ma voisine philosophe me tend enfin le journal du jour. Je le parcours, m’arrêtant sur quelques articles qui m’intéressent. Parfois un fait divers attire mon attention et je me dis une fois de plus que le réel dépasse la fiction. Par automatisme, je lis toujours la météo du jour et des suivants et je n’oublie jamais de lire mon horoscope. Je regarde mon signe et aussi mon ascendant car il paraît que lorsqu’on prend de l’âge, on se rapproche de plus en plus de son ascendant, donc, au cas où, je le prends en compte…ça ne change jamais rien à ma journée, ni ne m’influence, mais j’y trouve souvent quelque chose d’universel, une sagesse populaire, un conseil qui vaut d’être retenu.

Des jeunes en survêt et à casquette s’installent  en face de la terrasse, le long de la devanture où il y a quelques tables sur le trottoir. Quand je les écoute, je ne comprends rien, mélange d’accent de la ville et d’ailleurs, charabia de leur âge. Mais ils se parlent rarement, ils ont le nez dans leur portable à scroller automatiquement, sans s’arrêter sur rien, ou à jouer, ils passent le temps, sans inquiétude.

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