#anthologie #13 | rue de l’hôtel Santos

L’homme au tee-shirt à larges bandes vertes se tient appuyé à l’entrée d’une boutique dont les vitres ont été remplacées par des plaques d’aggloméré. Il regarde ce qui se passe dans la rue. À quelques mètres de lui, sur le trottoir, un homme est assis et fume une cigarette. Il a la chemise ouverte, le torse brun, les joues mal rasées. Deux femmes passent en riant, shorts en jean, cheveux longs et bruns. Elles ont l’air de deux serveuses. Vers l’hôtel Regis, un homme aux pieds nus cherche quelques restes parmi les papiers graisseux d’une corbeilles de fer. Il trouve une part de pizza repliée sur elle-même. Il l’avale en deux bouchées. Il cherche encore, ne trouve rien. Il prend dans la corbeille un gobelet en carton, entre dans le bar de l’hôtel pour demander de l’eau. Une Peregrino noire aux vitres fumées se gare devant la boutique du joaillier. En sortent deux hommes en chemise blanche et lunettes noires. Ils entrent dans la joaillerie. L’homme au tee-shirt à bandes vertes les regarde entrer. Il dit quelque chose à l’homme assis sur le trottoir qui tire une dernière taffe, jette d’une pichenette son mégot dans le caniveau. Le dos appuyé sur le mur, il relâche les épaules, enfonce sa casquette sur le front, ferme les yeux. Un livreur arrête son camion devant chez Santos. Depuis le côté, il en sort cinq caisses, deux de Tequate, deux de Coca cola, une de Fanta. Pour entrer chez Santos, il se tourne et pousse la porte avec le dos, une caisse devant lui à hauteur de cuisse, bras tendus. Il ressort de chez Santos avec une autre caisse pleine de consignes qu’il empile à l’arrière du camion. Devant le camion du limonadier un homme téléphone depuis la première des sept bornes téléphoniques bleues infinitum la major connexión. Sa chemise et sa casquette sont assorties, couleur sable. Il appelle sa fille à Mexico. En arrière des bornes téléphoniques bleues, sur le trottoir, il y a un distributeur rouge Coca cola devant lequel une femme pousse un caddie de supermarché rempli de matériel de nettoyage. Elle s’arrête à hauteur de l’homme qui téléphone, le salue de la tête. Il la salue aussi, lui fait un signe de la main gauche, tourne l’index devant son visage, on se verra plus tard. La femme repart avec son chariot. A la porte d’un garage automobile, deux hommes restent dans l’ombre, tous les deux en jean et chemise blanche à deux poches rentrée dans le pantalon, chaussures noires. L’un porte une casquette bleue, l’autre une moustache. L’homme à la casquette bleue a dans une des poches de chemise une paire de lunettes. Ils regardent passer les femmes et commentent leur allure, indiquant parfois un projet de leur mettre quelque chose quelque part ce qui les fait rire. A peine plus bas, au coin de la rue des hommes attendent dans l’ombre. Ils sont tous debout, appuyés, dos au mur un pied relevé, les fesses sur le tronc d’un arbre ou la main contre un poteau électrique. L’un d’entre eux tient une canette de Coca à la main, un autre lit une lettre. Ils ne se parlent pas. Ils attendent. Ils sont là, dans l’ombre étroite du soleil presque au zénith. Deux ados passent devant eux, chacun avec un sac à dos. De l’autre côté de la rue, face à ces hommes, adossé à son échoppe Taqueria Los Compadres, le vendeur ambulant est assis sur sa glacière à l’ombre d’une bâche. Il est âgé et semble fatigué. Malgré la chaleur, il porte une chemise d’ouvrier, de celles qui se portaient dans les sixties. Derrière lui, dans l’ombre de la bâche, une femme avec un long tee-shirt rouge qui lui descend jusqu’aux genoux est assise sur sur une chaise en plastique rouge, accoudée à une table carrée du même plastique rouge. La table est recouverte d’une toile cirée à fleurs. Dessus, un distributeur de serviettes en papier en inox, une bouteille de ketchup Red Gold, du sel, du poivre. La femme regarde l’homme mais ne lui parle pas. A quelques mètres, un mendiant est assis en tailleur sur un sac poubelle. Personne ne le regarde. Lui, regarde tout ce monde.

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