#anthologie #13 | Routine en espace avec foule

La table au fond du jardin derrière le potager la table en bois avec des bancs solidaires et une barre au dessous pour y poser les pieds. Chats. Les planches épaisses de son plateau se sont tordues avec les années, avec la pluie, avec le soleil, avec la neige. Merles. Elles sont maintenant bien disjointes, difficile de poser la tasse de café dessus, elles s’effritent, des bandes de mousse étendent leur territoire un peu plus chaque hiver. Châtaigniers. Dès l’automne elle est comme imbibée son bois gorgé de pluie d’humidité de brouillard elle est entourée d’arbres la forêt est proche. Chênes sapins fougères. En été il semble que la table rétrécisse après plusieurs jours de soleil la mousse devient grise se dessèche de petits squelettes gris et verts se détachent. Mésanges rouge gorges escargots. Le pyracantha dans la haie planté il y a longtemps à distance raisonnable avance maintenant ses épines agressives jusqu’au bord de la table, buissons ardents, je menace de tailler je renonce quand au printemps ses fleurs se déploient par étapes de boules à corolles à pétales, de blanc à rosé à rose foncé, tous les stades simultanément dans ses branches, jusqu’à ses baies oranges et rouges début de l’été. Citrons piérides myrtils vulcains robert-le-diables. Je sème du fenouil uniquement pour attirer les chenilles fluorescentes du machaon, je n’ai pas encore surpris le papillon, je sème encore. Il faut parfois emporter un sac en plastique ou un journal pour s’asseoir sur les bancs plein d’eau, il faut choisir l’heure en fonction de la saison, le soleil doit avoir passé la pointe des grands sapins, vers onze heures en novembre, dès huit heures les matins d’été. Basilic grand vert basilic pistou basilic thaï persil simple persil frisé coriandre céleri. Un moineau était perché sur une branche basse du forsythia, il est s’est rapproché et s’est posé sur la vieille balançoire, je n’ai pas bougé, il est venu sur le sol tout près, je sais que j’ai croisé son regard avant qu’il décolle pour disparaître. Groseilliers cassis framboisiers fraisiers vignes. C’est la première fois que le nichoir est utilisé, une mésange au mois de mai, observer, surveiller le chat qui surveille l’oiseau qui surveille la table depuis une branche un peu plus haut, avant d’oser un vol jusqu’au bord du nichoir où il disparaît si rapidement je ne suis plus certaine qu’il y soit entré, j’attends et je ne le vois pas ressortir. Froisser les feuilles du cassissier, déambuler dans les allées de ce jardin non public. Le café. Se laisser envahir par la perspective des tâches à venir où que le regard se porte. Semer planter cueillir désherber tailler. Les pensées sur le faire qui chassent le reste nettoient dégagent la voie dans le cerveau. Vers de terre orvets crapauds grenouilles. Faire toujours le tour du potager pour rentrer, se glisser entre les branches de la mauve, se griffer aux aubépines, toujours se mouiller les matins d’herbe sèche sont rares, il faut des bottes. Camomilles véroniques menthes ciboulettes pommes de terre betteraves immortelles de virginie cosmos sulfureux mélisses armoises tournesols ipomées pois de senteurs. Marcher sur les copeaux ne rencontrer personne surtout ne rencontrer personne. Guêpes moustiques bourdons mouches libellules scarabées coccinelles araignées lézards. Rester longtemps devant les lavandes pour l’odeur pour écouter bruisser les abeilles le sphinx colibri jamais immobile sa longue trompe précise qui inspecte chaque fleur. Écouter quand même les traces humaines autour solitude reposante les arbres la sensation du monde les bruits au loin. Me consoler. J’ai blessé la bouture du cognassier qui m’a été offert, je ne l’ai pas vu caché dans le sarrasin qui a déjà repoussé, un bandage de feuilles de consoude ne l’a pas empêché de faner, je le laisse encore j’espère. Faire toujours le tour pour être surprise, emporter pour ma journée une odeur, une image, une fleur de bourrache. Routine habitude calme clarté.

A propos de Isabelle Charreau

j’arpente plus facilement les chemins de terre que les pavés de la ville, je fréquente l’atelier pour le plaisir comme des gammes, sans projet de partition

4 commentaires à propos de “#anthologie #13 | Routine en espace avec foule”

  1. Je n’ai pas lu/écouté la consigne (suis très en retard) mais je trouve votre texte magnifique. On s’engouffre avec bonheur dans cette profusion d’images, de mots, de sensations. On rêve de ce jardin. Merci pour ce beau texte.

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