#anthologie #13 | pile

Elle arrive une demi-heure avant les enfants, quand j’arrive presque toujours au dernier moment. Elle installe lentement chaque objet à sa place, épingle des images, accroche des mots, je me dépêche de rejoindre la classe d’en ouvrir la porte et lance un premier bonjour au premier enfant. Elle a toujours le temps, je suis toujours en retard. 

Les couloirs juste lavés finissent de sécher, les femmes au service s’éclipsent, elles rangent à la hâte le matériel de ménage, et nous rejoignent dans les classes, là elles changent de rôle, attentives et accueillantes les voilà à présent auprès des enfants, les aidant à ouvrir un manteau, à détacher un lacet, à porter jusqu’à la classe un goûter, un doudou, une boîte de mouchoirs.

Elle ou moi sommes à côté de nos portes, nous accueillons enfants et parents par un mot personnel, attentives aux attitudes des uns et des autres, savoir qui a mal dormi, qui n’a pas mangé, qui est laissé trop vite et en souffre. Nous consolons, nous expliquons, nous allons à la fenêtre pour voir s’éloigner le parent pressé et raconter comment il va revenir. Dans les années 85, la discussion sur la présence des enfants de deux ans à l’école est au cœur d’un débat sans fin, scolarisés à cet âge leur chance d’atteindre un niveau de baccalauréat augmente sensiblement, mais en quoi leur journée d’école à l’âge de deux ans est-elle statistiquement une bonne journée ? 

Certaines heures transforment l’école en une fourmilière, tout le monde est dans le couloir, enlève ses chaussons, les range dans des sacs, s’empare de ses chaussures, maladroitement y glisse un pied puis l’autre, trouve une aide pour faire ses lacets ou d’un geste attache ses scratchs, une fois prêt, le petit monde file en récréation, être rapide équivaut à jouer plus longtemps, à faire du vélo sur l’engin de son choix, à trouver dans le bac à sable l’emplacement le plus confortable. À ce jeu d’habillage, certains garçons sont gourds, maladroits, peu entreprenants, ils attendent de l’aide, ils tendent leurs pieds sans parler ni regarder si quelqu’un se préoccupe de savoir où sont leurs chaussures, leurs bras tentent d’enfiler des manches dont ils savent qu’on va les retourner si elles sont à l’envers. La maladresse est un bon investissement, plus le garçon est maladroit plus on va l’aider, dans le même temps la fillette sera à la fois houspillée et poussée à y arriver seule. Une fois dehors, le microcosme s’avère difficile à surveiller, l’attention est maximale, éviter les disputes, les attitudes violentes, l’iniquité de l’accès aux jeux les plus convoités, à la possibilité de boire. Épuisant.

Elle est responsable d’une classe le matin, et moi d’une autre. À midi nous nous retrouvons, faisons le point, mangeons ensemble des repas que parfois nous partageons, puis elle s’en va et je continue dans la classe qui était la sienne durant la matinée. L’école maternelle des petites classes n’est pas la même le matin et l’après-midi, les plus jeunes dorment longtemps, se réveillent dans des brumes lointaines, il est difficile d’entamer une activité qui concerne l’ensemble de la classe, la moitié des enfants ne sont pas revenus, au lever de la sieste ils ont besoin de solitude et de calme. 

Aux heures de pleine activité, la salle de gymnastique est l’endroit où les enfants se côtoient sans distinction, escaladent des blocs de bois dont ils sautent sur des tapis épais, courent et prennent de l’élan sur des trampolines qui les propulsent et les motivent à aller plus vite, ils lancent des petites balles de toutes les couleurs sur des cibles amusantes comme des boîtes ou des cerceaux, ils enjambent des obstacles qui les obligent à lever les genoux, ou au contraire les franchissent en se glissant dessous comme des petits reptiles, ils rient, ils gloussent et se bousculent un peu. Les plus peureux restent sans bouger à attendre que nous nous approchions d’eux. De seulement les regarder et de dire leur nom suffit à leur donner l’élan nécessaire au risque pris de commencer.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

2 commentaires à propos de “#anthologie #13 | pile”

  1. Cette exploration de l’école maternelle… comme prolongation d’un de vos précédents textes ? Une série ?
    Bel univers, on y est, les souvenirs remontent (j’ai passé deux mois dans deux écoles maternelles, accompagnement d’enfants en situation de handicap dans l’enseignement ordinaire, je revois des scènes, je pense à d’autres… c’est que votre texte est parlant, vivant), et votre regard très juste sur le monde de l’enfance.

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