C’est l’été. La marée est basse. Le ciel gris bleuté se fond à l’horizon avec la mer. Bientôt onze heures. Les occupants journaliers de la plage sont tous là. Parlons d’abord des oiseaux, ce sont les plus bruyants : goélands argentés, goélands marins et mouettes rivalisent de cris rauques, parfois plaintifs ou aigus et rieurs. En loopings gracieux, affairés, imprévisibles, ils se croisent, se poursuivent, se parlent, puis soudain atterrissent pour se reposer ou fouiller la plage à la recherche de quelque nourriture. Une colonie de petits échassiers tricote, zigzagant à la limite du sable mouillé. Qu’ils sont rigolos, le bec en avant, tout le reste en arrière ! Les mêmes, à marée haute, voleront en escadrilles au ras des vagues. Un dernier cheval de trot tire son sulky, tout là-bas, à droite, sous le cimetière, dans lequel dorment à jamais près de dix mille soldats américains. La tache colorée qu’on aperçoit c’est la casaque orange de son jockey. L’entraînement journalier des chevaux est terminé. Ne resteront, pour quelques heures, que les empreintes de leurs sabots sur le sable mouillé et ferme et ça et là un peu de leur crottin. La plage se partage entre ses différents utilisateurs, place maintenant aux familles, les mêmes que sur toutes les grèves. Les voici avec leur fourbi : parasols, fauteuils, bouées, seaux et pelles des enfants, filets à crevettes, sans oublier la glacière. Les enfants se mettent sans tarder aux fondations de leur château du jour ou courent vers les flaques que la mer a laissées en se retirant. Les mamans les poursuivent avec la crème solaire, les hommes installent le matériel. Quelque belle expose sa poitrine au soleil. Un courageux, sa planche à voile sous le bras, se dirige vers l’eau. En voilà un qui espère rattraper la mer. Et sur tout cela la brise marine et ses effluves iodées. Pourquoi tous ces tracteurs attelés de remorque qui attendent sur le sable ? Il n’y a pas de ponton à Omaha Beach. Les pêcheurs, professionnels ou amateurs, mettent leur bateau à l’eau à l’aide de tracteurs. Ils vont pêcher et veillent à rentrer avant la marée montante pour sortir leur matériel à temps et regagner la terre ferme avant d’être dépassés par les flots. Ils pêchent le bar et le maquereau à la ligne, après avoir attrapé leurs vifs à la palangrotte (terme plutôt marseillais mais que tout pêcheur connaît). Ils relèvent leurs casiers, espérant y trouver tourteaux et homards. Il y a de nombreuses épaves au large d’Omaha Beach, vestiges du Débarquement de Normandie et ces épaves sont devenues des îlots de vie. Les anémones de mer se sont fixées sur les tôles martyrisées, les homards se cachent dessous et tout autour les poissons pullulent. Ainsi, ces équipements militaires ont changé de destination. On ne peut pas regarder Omaha Beach, fut-ce en villégiatures fréquentes, de la terrasse de l’une des quelques maisons qui donnent directement sur la plage, sans penser à ce qu’il s’est passé là. À marée basse, on voit des restes de pontons en ferraille construits par les Alliés pour débarquer du matériel, des morceaux de chars ou de navires qui dépassent du sable. Désormais, Omaha Beach est un univers tranquille. Seuls ces quelques vestiges rappellent la fureur du Débarquement et ces milliers d’hommes qui, attendus sur la grève par leurs ennemis, sont tombés par centaines devant les barbelés et les « hérissons » disposés sur la plage pour arrêter les chars, les véhicules amphibies et les hommes. On n’oublie jamais les images du film Le jour le plus long, notamment celle qui fait apparaître à l’horizon l’armada des bateaux alliés. Un soldat allemand aperçoit d’un bunker de la Pointe du Hoc des centaines d’embarcations qui s’avancent vers la Normandie. Son regard est incrédule, il n’en croit pas ces yeux. La pointe du Hoc, on la voit de la plage d’Omaha Beach, elle se dresse tout à fait sur la gauche. Tout le monde connaît l’histoire, n’est-ce pas ? Quand les chaloupes sont arrivées au pied de la falaise, pilotées par des hommes qui pour la plupart n’étaient pas des marins, dans une mer grosse et des rafales de vent chargées de pluie, les Allemands qui défendaient la plate-forme, se sont dit : « C’est impossible, ils sont fous, ils n’y arriveront jamais ! » Et bien ils y sont arrivés, et tout d’un coup au milieu des « Schnell, schnell ! », on a entendu : « Run, run, go ahead boys ! » Ils étaient là, ils avaient réussi. Quel courage, quelle audace, quels soldats !
C’est vraiment un tableau plein de vie dans lequel tu es présente. Très agréable à lire. Merci.
Oh, merci Jean-Luc de ton gentil commentaire !