#anthologie #13 | le jardin d’enfants

On l’appelle le jardin d’enfants ou le parc. C’est selon. Selon quand, selon qui. Ou le jardin, tout simplement. Inutile d’arriver trop tôt. Avant quinze heures, une vieille dame assise sur un banc, tout au plus. Le matin, on peut voir quelques collégiens en train de se balancer ou de tournicoter. Déposés par le bus de 8 heures, ils n’ont cours qu’à partir de 9 heures. C’est l’après-midi qu’il vit. Mères avec poussette ou enfants plus grands. On a garé la voiture le long du jardin, ou on est venu à pied. Au toboggan avec maisonnette en bois, un couple surveille des jumeaux. Faux jumeaux. Maigres. Curieusement maigres. Parce que deux dans le ventre? Le garçon a les gestes désordonnés. Avec les années, les écarts se creusent. Il n’ira jamais au lycée. Il joue de la batterie, suit un scolarité normale en primaire. Arrivé au collège, c’est terminé. Il ira avec les ULIS. Un couple de grands-parents. Leur banc est près des balançoires. Le garçonnet se promène en tirant une corde à laquelle est accroché un camion en plastique. Lucas et sa soeur jouent avec deux soeurs. Les mères sont amies. Les maris sont là aussi. L’un est pompier volontaire. Il photographie ses enfants. Plus tard les rues du bourg pour Google Maps. Elle est psychiatre et accompagne son fils Benjamin. Elle s’assied sur le banc près de l’allée et ouvre une revue. Chacun a son banc attitré. Arriver trop tard (et )c’est risquer de le voir déjà occupé. Le jardin est traversé par une allée. À  gauche, le toboggan jaune prévu pour le plus petits  est venu remplacer un plus grand, plus haut, au bleu défraichi, des siège en bois montés sur ressort qui représentent l’un un poney l’autre un chien, plus loin un espace planté mais sans jeux, c’est là que s’assoient en cercle les collégiens pour fumer, s’embrasser à l’abri des regards. Si l’on continue, on aperçoit les cours de tennis. C’est ici aussi que les enfants viennent dans l‘espoir de trouver une balle jaune fluo égarée. Puis vient la partie la plus longue du jardin. À gauche la piste cyclable, à droite les jeux et au fond le bosquet de pins parasols. On ramasse les pignes pour les grillades. À gauche aussi, dissimulé, recouvert de bois, des toilettes publiques, on ne voit jamais personne les utiliser. Personne n’est jamais bien loin de chez soi dans ce bourg. Un peu en avant, une plaque de pluvial, et en-dessous, certains enfants le savent, un crocodile. Le crocodile. Elle a une quarantaine d’années, plus âgée que la moyenne. Sa fille a huit ans. Elle est parfois accompagnée d’une jeune fille, enfant d’une première union, d’un premier lit disait-on, d’un premier mariage, d’un autre père. La mère porte un foulard noué sur sa tête chauve. Des mères essentiellement. On connaît les pères pour les apercevoir parfois. On connaît les prénoms des enfants. Zoé. Le père est accompagné de deux petits chiens frisés. La fillette grandit, déménage avec sa mère. Le père change de banc, opte pour un en centre ville, dort dans sa voiture, les chiens vieillissent, changent, mais toujours de petits chiens aux poils frisés l’accompagnent. Retourne-t-il parfois au jardin d’enfants? C’est un notable de la ville, médecin, lettré, musicien, et aimant qu’on le sache. On le sait. Il est de garde de sa petite-fille. C’est habituellement à sa femme que cette garde revient. La gamine fait des tours de toboggan. Encore et encore. Le vieil homme s’endort. Les mères qui ont tout vu surveillent la fillette. Des gamins font la queue aux balançoires, se disputent, s’approchent de peur de perdre leur tour. L’un, impatient, ne voit pas la balançoire venir vers lui. On accourt pour arrêter la balançoire et soigner l’enfants allongé sur les graviers. Les graviers seront un jour remplacés par un revêtement caoutchouteux, le tourniquet en bois par un autre en fer à hauteur variable, le second toboggan par une araignée, des agrès destinés aux plus grands. Des tapis et couvertures sont étalés à l’ombre des arbres. Des bébés  jouent avec leur pieds, les frères et soeurs plus grand pédalent dans l’allée, jouent à cache-cache. Tilleul, eucalyptus, grenadier, robinier, pins parasols, buis sont autant de cachette. Noé accompagné de sa grand-mère joue avec ses animaux en plastique. On demande à ceux qui veulent jouer au ballon d’aller plus loin. Pierre s’élance en courant «  des romains me poursuivent ». C’est avec une écharpe passée sous les bras qu’il a appris à marcher, sur la murette, tandis que sa mère le maintenait droit avec les pans de l’écharpe. Damien et Nicolas viennent d’arriver, Jean les suit accompagné de Florian, Maeva pré-adolescente n’accompagne que rarement Lucas. Ici c’est la jardin d’enfants, plus loin les tennis, le collège avec en face la salle de judo. Lieux invisibles tant qu’on n’a pas d’enfants. 

A propos de Betty Gomez

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