#anthologie #13 | la Plaine

Le tram T1 dépose à l’arrêt Eugène Pierre avant de disparaître dans le tunnel terminus Noailles, évitant la Plaine, évitant les motos et scooter qui remontent à contre-sens la piste cyclable, évitant les allers et venues des serveuses en terrasse aux frontières floues aux enfants libres courants en tous sens, on soulève un minot qui filait direction la route l’oriente direction le centre l’enfant aperçoit sa mère qui nous remercie au loin une fois les pieds au sol les jambes automatiques le poussent dans sa direction, on évite un border collie à la poursuite de son doudou rebondissant lui-même poursuivi par un teckel dépassé par sa propre personne, un skater quadragénaire effectue un virage avec élégance mais le bruit du dérapage réveille une minuscule chose qui se lance à sa poursuite aboyant sévèrement comme dictant les règles de bonne conduite de cette place, mais on connait son propriétaire un homme très sympathique qui s’excuse gentiment d’avoir un chien de droite, les fidèles du PMU brûlent en terrasse derrière leur lunettes achetées trois balles à la friperie du week-end dernier, tout près Mon Café la citronnade et les tronches des clients qui font du bien à la France, il y a toujours dans ce coin un vortex de plastique, de ceux du marché que les nettoyeurs fous avec leurs machines à décaper l’atmosphère ne parviennent pas à contenir, on fait mine d’être confortable entre ombre et soleil, ne pas voir ce sachet éventré dix euros la paire de tongs qui se colle au pied de la chaise dans un équilibre satisfaisant à cette heure de la journée, l’éternel Petit Nice dont on ignore où les clients quand ils le quittent vont se réfugier, sur la Plaine ils ressemblent à des figurants mais bruyants, on espère toujours que personne jamais ne nous donnera rendez-vous ici, les blocs peints par les supporters Marseille Trop Puissant qu’ils n’ont pas pensé à accorder au féminin, ces blocs autour desquels était née une polémique car tagués par une poignée de féministes un soir de 8 mars et avaient valu une descente des MTP – enfin descente n’est pas le bon mot car la Plaine est un plateau dont on ne descend guère -, ridicules exhibitions de muscles et de canettes en verre brisées qui avaient fait couler un peu de sang sur les visages et d’urine dans les coins, la Plaine, comment posséder un espace qui n’a pas de maître, au milieu les enfants nous ramènent à la réalité plus douce, dans le relativement nouveau parc avec sa construction en bois à donner le vertige – et on oublie pourquoi les Marseillais s’étaient braqués contre un projet de rénovation de la Plaine qui limitait le passage des voitures et prévoyait la rénovation du mobilier urbain, la suppression de quelques arbres quand la plupart ont été conservés, notamment ceux qui siègent au centre de la place – le carré jeu peine à contenir cette énergie juvénile qui éclate au delà des barrières en bois, pourtant à la terrasse du Jean Jaurès, à la quatrième tournée de pastis à deux balles, on ne les entend guère, la somme des bruits oblige une acuité auditive acérée et il en va de même pour les odeurs puisqu’on ne sent guère la surenchère olfactive émanant des vendeurs de pizza et kebab ou de l’auto-baptisée Friterie de la Plaine, la petite borne de retrait est gardée par les mêmes punks depuis mille ans, sorte de gargouilles laissant libre le passage de la rue Poggioli qui rejoint le cours Ju, si tant est qu’on parvienne à résister aux sirènes du Champ de Mars bar typique à la jauge illimitée puisque systématiquement dilatée vers la rue, mais on ne s’avance pas quand on a décidé de rester à la Plaine, se fondre dans la masse assise des gens en terrasse du Traquenard est une possibilité, une de ces terrasses où régulièrement un écran nous rappelle l’agenda marseillais, chausser ses patins, slalomer entre les déchets auto-portés, les frappes des gamins dans des ballons mous, ratée la cage délimitée sur un terrain imaginaire qui occupe un bon quart de l’espace collectif, et j’admire toujours la capacité qu’ils ont au passage des vélos chiens poussettes à les éviter en faisant mine de ne pas les considérer, et chez toutes et tous, l’art dans la démarche de s’ajuster au relief fracturé.

Un commentaire à propos de “#anthologie #13 | la Plaine”

  1. Toute la place monde, la place mondes dans une phrase! Je la reconnais bien, Laurie, merci pour cette imbrication, pour tout ce monde qui se tient, comme on se tient tous et toutes sur la Plaine, sans trop en avoir conscience pourtant.

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