La petite église du village est pleine, chapelles latérales comprises. On rend un dernier hommage à la femme de l’ancien maire, encore conseiller municipal. Sur les premiers bancs, la famille, les deux enfants, leurs épouses, les petits enfants et arrière-petits-enfants en noir. Le mari de la morte porte une chemise blanche sans cravate ; ce qu’on a l’habitude d’appeler un bel homme, grand, chevelure blanche abondante, il n’a que soixante-dix ans comme son épouse, la décédée qu’on honore. Sur les premiers rangs aussi, de l’autre côté, une autre veuve récente, très entourée, dont le mari sera incinéré dans la semaine. Au pied de l’autel, une couronne (le conseil municipal sans doute), des bouquets ronds comme en font tous les fleuristes de fleurs mélangées et deux brassées de roses rouges. Il en porte une sur le cercueil dans lequel elle repose. Des chants corses dans un mauvais appareil qui crachote. Puis la chanteuse qui n’est pas très bonne démarre devant son micro sans attendre le signal du prêtre, puis reprend avec lui. Les deux fils parlent, l’un solide dont la voix tremble à peine, l’autre ému la voix pleine de sanglots pour évoquer Maman. On apprend peu de choses sur cette disparue, originaire de Corse qui a beaucoup voyagé avec son mari, jusqu’au Burkina Faso, pays avec un village duquel la commune était jumelée, et qui sera inhumée dans le caveau familial d’un village du sud de la France. C’est le tour du prêtre qui évoque le sel de la terre, la lumière du monde, la mort qui n’est qu’un passage et la morte qui restera dans nos cœurs. Pas un mot que la résurrection des corps, à laquelle on croit sans doute de moins en moins. Puis c’est la quête rondement menée par quatre assistants et leurs petites corbeilles. Quelques billets et beaucoup de menue monnaie que les uns et les autres récupèrent à grand-peine au fond de leurs sacs, poches, pochettes. Encore quelques efforts de la chanteuse qui entonne un « je vous salue Marie », un « notre père » que certains savent encore puis c’est la bénédiction du corps à laquelle sont invités les participants « ceux du fond en premier qui sortiront par les portes latérales ». Diversité des tenues (même un tee shirt route 66 et quelques autres avec des slogans publicitaires), des manières de faire le signe de croix, de signes d’amitié au mari. On se retrouve dehors. La bise à ceux qu’on connaît dans le petit jardin qui fut autrefois cimetière communal dont cet ancien maire a fait enlever les pierres tombales dont celle de la sœur du curé d’Ars. Certains lui en veulent encore. Il n’y aura pas de pot de l’amitié.
On votait la veille, les résultats sont connus, on n’en parle pas. Peu de conseillers municipaux présents pour le dernier hommage à l’épouse d’un collègue. Le conseil municipal et la maire actuelle ont fait paraître un long encart sur le site de la mairie. C’est sans doute suffisant. On part sans faire de bruit. La petite église du village annoncée comme datant du 12e siècle, comme le château dont elle était à l’époque la chapelle a été agrandie et remaniée plusieurs fois, agrémentée plus tard d’un clocher, puis d’un autre plus haut. Elle conserve une allure vaguement romane et suffit largement aux besoins d’une commune où la messe est célébrée malgré tout plusieurs fois par mois. Le village était si petit autrefois que la commune eut bien du mal à récupérer un curé et une église après la Révolution. Les paroissiens obligés de fréquenter la paroisse d’à côté. Au bout de dix ou quinze ans, ils avaient réussi pourtant. Faire société aujourd’hui, c’est plus compliqué. La fête du village, la célébration des classes, les évènements du pôle culturel et festif, la bibliothèque et l’église n’y suffisent plus. Cette année, en plus il pleut. Les élections législatives ont rassemblé 77 % de votants, dont un tiers pour une étudiante inconnue en deuxième année de droit (RN). Elle a 22 ans et met en avant le rétablissement des peines plancher pour les récidivistes. Son profil LinkedIn précise qu’elle est en M2 droit privé « parcours droit de l’enfant et des personnes vulnérables » et que depuis un an et 7 mois, elle est chez Kinougarde en CDD pour des gardes d’enfants. Sur Facebook quelques photos de jolie fille et plein de bisous de ses copines en commentaire. Sur Instagram 200 followers et toujours ces mêmes photos d’elle en jolie fille avec de grosses lunettes noires en train de distribuer des tracts. Que nous est-il arrivé ?
Ces rituels liés à l’enterrement… bien posés, et « la mort qui n’est qu’un passage », et « même un tee shirt route 66 ». Puis tout ce que tu racontes autour de l’église, du village, intéressant. Et ces élections, je te sens affectée.
Affectée…c’est peu dire, inquiète et plus qu’inquiète.
Oui, je comprends, et j’espère que l’issue sera positive… tout n’est pas perdu.