#anthologie #13 | DK

Pour accéder au port de Dunkerque, le chenal est un peu un canal à long col et d’étroite embouchure. Une cigogne y passerait aisément son bec mais un renard n’y aurait pas accès. De loin depuis la mer dépassent quelques pics : phares, beffroi, grues et clochers, mais la ville ne devient ville avec ses bâtiments, immeubles, rues et mouvements que pour qui a passé l’épreuve du chenal. À l’entrée du chenal, il faut commencer par choisir son chenal. Partir à droite c’est se retrouver dans un canal tout droit, une sorte de tunnel avec le ciel pour plafond, la mer claire d’un côté, de l’autre les aciéries sombres, noires et rouille et l’eau noire au milieu. Tuyaux enchevêtrés d’instruments futuristes qui soufflent en percussions, cheminées, fumées, silos, tapis roulants et wagonnets, poussière, conduits, piles parfaitement ordonnées de produits métalliques, bâtiments sombres et sans fenêtres aux allures de cuisines du diable. C’est un chenal spécial, presque un peu inquiétant par toute sa démesure, il reste réservé à de très gros bateaux, bas sur leur flottaison une fois qu’ils sont chargés ou pas encore déchargés, à leur place sur l’eau noire avec tout le pesant de ces industries lourdes. Pas d’êtres humains visibles, mais on s’attendrait presque à les voir habillés comme dans les Misérables. Côté mer, quelques voitures garées à la limite du sable et le plus près possible d’un parasol délavé qui abrite les pâtés de sable des petits et les siestes des grands ou leurs conversations qui reviennent et repartent des usines juste derrière, ou de la météo ou parfois d’un oiseau plus téméraire qu’un autre à flirter avec l’eau et l’écume des vagues ou juste plus intrépide à venir chaparder les restes du pique-nique. Certains oiseaux de mer, surtout les goélands se sont même installés un peu partout en ville, ils vont par les canaux et explorent les environs de ces voies navigables qu’on dirait faites pour eux. Les canaux ont les noms des villes aux alentours où on arriverait juste en suivant leur cours, Bourbourg, Bergues ou le canal des dunes. Pour certains habitants ils ont des petits noms un peu plus imagés, souvent liés à l’histoire locale ou aux vieilles habitudes de donner un autre nom pour rendre plus personnelles les choses que l’on connaît presque depuis qu’on est né. Et partout des oiseaux, des goélands criards qui annoncent le port bien avant qu’on ne voie l’eau, jusque sur la statue du célèbre Jean Bart sur qui ils vont se poser et peuvent observer les opportunités de pouvoir grappiller quelques restes à gober. Peut-être pour leur cris ou leur taille imposante, les gens les chassent plus vite des terrasses de bistrots ou bien des restaurants, beaucoup plus vite qu’ailleurs on ne le fait des moineaux ou encore des pigeons. Le port a bien changé depuis les temps d’avant, les conteneurs métalliques ont assuré la fin des sacs qui se crevaient dans les déchargements, des repas des dockers assis au bord du quai les pieds au ras de l’eau. Depuis plusieurs années le port est grillagé, plus du tout accessible aux promeneurs, aux curieux, à ceux qui venaient regarder les bateaux, leurs formes, leurs couleurs, rêver du grand ailleurs une fois que sur l’arrière aurait été visible le pavillon coloré de leur pays d’origine. Tous les gens de cette ville ont un lien avec le port, un marin dans la famille, ou bien un ouvrier  dont le travail dépend des bateaux qui arrivent, des bateaux qui repartent ou une simple balade, souvenir de romance sur la jetée de Malo à regarder les herbes tout en haut de la plage arrondies par le vent ou les oiseaux de mer qui s’amusent dans le vent même s’il souffle en tempête et empêche de sortir le ramasseur de coques qui ratisse la plage entre méthode et patience d’un geste automatique. Quand on est sur la jetée, de l’autre côté du chenal, on voit les remorqueurs prêts à prendre la mer, moteurs au ralenti comme des gros chats repus avec leur passerelle entièrement vitrée posée tout au-dessus, le bouchon ouvragé d’une carafe en cristal digne du temps des bains de mer comme dans les belles villas avec vue sur la mer alignées et bien sages, toutes serrées côte à côte loin jusqu’à la Belgique dans une chanson d’Arno

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

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