L’attrait irésistible du gravier chauffé au soleil de l’été à la chaleur douce qui monte, le besoin irrépressible d’y plonger les doigts de sentir les pierres rouler glisser entre ses phalanges comme un torrent apaisé, une rivière tranquille après la furie, bordée d’érables verts aux feuilles finement dentelées, la lavande cette touffe échevelée dont les bras tombent avec la grâce alanguie d’une danseuse se mêlent aux galets polis recouverts là d’une couronne de fougères ici quelques buis, sphères sombres et denses que chaque semaine il taille, côtoyant des pins nains aux pives miniatures, une bordure de pierres serpente pour se perdre dans le fouillis des bambous ce désordre maîtrisé, le lotus au calme séculaire immobile sur le plat de ses feuilles reposoirs pour libellules tandis qu’un lierre serpent souple vient lécher ces surface avec une lenteur étudiée presque amoureuse, je m’allonge sur le silence de l’eau.
Les deux dalles de granit glissantes de leur pellicule de givre enjambent la rigole ; il avance prudemment dans l’air vif le souffle court vers le pin tortueux alourdi de neige tellement ployé qu’il semble confier un secret à la bruyère violette ses fleurs serrées les une contre les autres les feuilles de l’érable tapissent son pied et comblent les espace entre les galets pour les tenir au chaud, le flamboyant annonce la fin de l’automne et le silence imminent de l’hiver. Il s’arrête un instant une main dans la poche de son manteau l’autre tenant sa pipe en écume, contemple ce tableau figé mariage de couleurs et de textures, du regard il caresse les pierres par ses soins arrangées et parle au vieux pin comme à un ami. Il s’agenouille effleure les feuilles glacées, laisse ses doigts courir sur les galets froids. Le monde semble suspendu chaque son étouffé par le givre.
Le bambou chante l’écoulement de l’eau. Sous la caresse légère du vent les tiges s’agitent d’ une mélodie apaisante, elle emplit le jardin japonais de résonnances subtiles presque imperceptibles, il s’arrête un instant pour les écouter accoudé sur le manche de son râteau. Le lierre taillé de l’hiver plongera dans quelques semaines ses branches vigoureuses dans l’étang en un rideau de verdure et caressera sa surface d’une délicatesse presque cérémonieuse. Les azalées roses et verts encore en boutons commencent à sortir de leur torpeur hivernale annonçant l’arrivée du printemps ils viendront égayer les fougères jaunies par le froid, un contraste saisissant entre passé et renouveau. Ce moment est crucial, chaque année il observe avec une patience infinie la lente métamorphose, une danse perpétuelle entre dépérissement et floraison. Il s’accroupit scrute d’une attention presque maniaque chaque détail, déplace quelques galets les ajuste, loge chacun à sa meilleure place créant un chemin de blancheur pour conduire le regard du visiteur vers des recoins cachés, des merveilles discrètes. La glycine blanche couvrira bientôt la pergola, union de pureté et de grâce d’une cascade de fleurs pendantes au parfum enivrant. L’eau s’écoule des canaux aménagés avec une précision millimétrique. Les carpes Koï aux couleurs vives émergent de ce long hiver sous la glace, il leur lance quelques graines de nourriture. Chaque plante chaque pierre chaque élément portent la marque de son dévouement silencieux et invite à la méditation. Microcosme miniature du monde où chaque geste a une signification, un espace sacré qu’il crée pour le plaisir des yeux et des cycles de vie et de mort au passage des saisons. Une histoire, un poème de pierre et de végétation, une œuvre vivante.
Merci Raymonde pour ce poème de pierre et de végétation, très jolie prose et beaux portraits. Bonne journée ensoleillée.
Si je savais faire j’aurais mis une ou deux photos de ce jardin auquel j’ai participé en un temps qui depuis a poursuivi son évolution, je suis contente de vous l’avoir partagé. Oui du soleil à tous, c’est encore l’été bien que des prémices, une couleur un son plus feutré annoncent un changement prochain. Bonne journée.