L’appartement a été acheté vide – grâce à la rançon de l’enlèvement (du 12 janvier au 3 avril 1977) de Piero Costa (le fils de l’armateur) qui s’élevait à plus de cinq cent mille euros d’aujourd’hui – un milliard de lires – au printemps de la même année et Mario et Prospero l’ont préparé. Nous avons travaillé sans faire trop de bruit, nous étions des artisans-peintres. L’appartement appartenait à monsieur et madame Altobelli (l’un des premiers décrets-loi de cette période d’exception aura été d’obliger quiconque achète un bien immobilier à le déclarer à la police – trop tard), lui est ingénieur, elle est secrétaire. Un couple d’italiens dans la moyenne supérieure, qui n’a pas encore d’enfant mais ça viendrait sûrement – elle est née le 3 août 1953 (elle a alors 24 ans), lui est né le16 avril de la même année (il atteint les 25 ans durant cette période). Elle est assez amie avec le voisinage en particulier avec la dame qui habite au deuxième, assez âgée, pour qui il arrive qu’elle fasse des courses : il s’agit d’une couverture mais qu’elle effectue avec conviction. Elle et Mario ont cherché l’appartement parfait, pendant quelques semaines en mai de l’année précédente, mais c’était elle qui allait visiter. Elle portait des bijoux en or, des parfums onéreux, des vêtements et accessoires de marque : elle jouait le rôle d’une riche et jeune héritière auprès des agences immobilières. Peut-être s’était-elle amourachée d’un homme riche et plus âgé. Elle racontait l’histoire, visitant seule ici (mal desservi) ou là (trop de passage). Puis vint l’appartement numéro un du 8 via Montalcini. Trois pièces, un grand salon en L, trois grandes baies vitrées donnant sur un petit jardin. Deux chambres, deux salles de bain. Une cuisine, grande pour y manger à quatre. Plus de cent mètres-carrés. Elle rencontre les propriétaires dans un bar, conclue l’affaire et les paye avec des chèques de banque qu’elle a constitués avec de l’argent liquide, en quelques semaines. Elle fait appel à un artisan pour qu’il pose des rideaux et leurs tringles sur les baies du salon. Blancs, beaux, occultants. Puis à un autre pour des grillages aux fenêtres, pour se protéger des voleurs. C’est avec Mario qu’elle achète des meubles en banlieue, un canapé à fleurs pour le salon, et deux fauteuils. Tables, chaises. Un lit. Meubles de cuisine. Une toilette de camping et un lit de camp. Enfin, on transformera une des chambres en bureau. Sur toute la longueur du mur face à l’entrée on construit une bibliothèque, derrière laquelle on dissimulera la cache. Deux mètres et demi sur un. Avec les matériaux qu’elle achètera, on l’insonorisera, le renforcera, ciment plus parpaings plus laine de verre, on ne décore pas l’intérieur. La porte est petite et lourde. Dans le réduit une autre porte massive – une petite partie du réduit est réservée pour y déposer les armes, dans un coffre fermé. On craint la venue des policiers, toujours. Sur le mur d’en face, on pose un miroir pour agrandir la pièce. Le lieu commence à prendre forme, devient presque coquet. Un jour un voisin sonne, son gamin a laissé tomber un ballon dans le jardinet : elle le lui rend, elle est petite mais mignonne, sourit, très maîtresse d’elle-même :après tout, elle est chez elle. Quand il s’en va, elle croit que son cœur va sortir de sa poitrine. Elle souffle, souffre, ne dort que peu et mal. Mario la rassure, Prospero l’aime – c’est fortement déconseillé sinon parfaitement interdit et proscrit : tant pis – ça ne se saura que plus tard. Ils iront jusqu’à se marier, en prison je crois bien. Puis vient Germano, c’est lui qui tient le rôle de l’ingénieur (c’est un de ses ex-amants). On s’entend tant bien que mal. On dort l’un à côté de l’autre, sans se toucher. À ce moment-là, elle ne sait pas encore ce qui se prépare sinon qu’il s’agira d’un « gros coup ». Elle aime beaucoup Mario, Prospero lui fait confiance et la rassure aussi. Vers le six mars, Mario la prend à part et lui explique ce qui est attendu.
(j'ai eu du mal) fortement inspiré du livre Le prisonnier d'Anna Laura Braghetti (guerillera) et Paola Tavella (journaliste) (denoël, traduit par Claude Galli - mai 1999) sous titré 55 jours avec Aldo Moro