#anthologie #13 | arrêt de bus exactement

un couple de lycéens s’embrasse | une nuée de pigeons atterrit devant la boulangerie et se rue sur les miettes de pain qu’une jeune fille au tablier vient de libérer en renversant de grands sacs en papier qu’on peut imaginer avoir transporté quelques baguettes de pain | l’éclat du soleil sur le pare-brise du bus aveugle le cycliste qui doit fermer les yeux un court instant | un homme à l’intérieur de l’échoppe du photographe regarde fixement par la vitrine un platane lui aussi immobile | le bus numéro quarante passe devant l’arrêt sans s’arrêter et sans que personne à l’intérieur ne se manifeste | je ne me rappelle plus combien étaient les pigeons devant la boulangerie | le banc de l’arrêt de bus est recouvert de traverses en plastique dont l’une est cassée sur une extrémité | je ne crois pas avoir vu la tête du chauffeur de bus numéro quarante | les traverses en plastique du banc de l’arrêt de bus sont recouvertes au milieu par le postérieur d’un homme âgé devant lequel est posé au sol un cabas | La tête de l’homme âgé assis à l’arrêt de bus est recouverte d’une casquette à carreaux | je ne sais pas si l’homme âgé a des cheveux sous sa casquette à carreaux | le bus numéro dix-sept s’approche par la gauche et ralentit avant de s’arrêter | le couple de lycéens se dispute au sujet d’un téléphone portable | l’homme dans la vitrine du photographe porte la main à sa bouche | sur le montant d’un panneau de signalisation est fixé un morceau de carton sur lequel est agrafée une affichette informant de la vente de matelas sur la place du village le jour même | il y a six (ou sept) pots de géraniums sur le balcon juste au-dessus de la boulangerie | la vitre qui se trouve à côté du banc de l’arrêt du bus révèle l’empreinte d’une petite main à hauteur d’enfant | un homme d’une cinquantaine d’années s’arrête devant le distributeur de billets | il ne sait pas encore qu’il ne fonctionne pas | après le passage du bus numéro dix-sept il n’y a plus que moi assis sur le banc de l’arrêt | un filet d’eau coule du balcon devant la boulangerie à cause de l’arrosage des fleurs | deux joggeuses en grande discussion passent devant l’échoppe du photographe | l’homme s’éloigne du distributeur de billets et monte dans une voiture garée sous le platane | je ne me rappelle plus comment est habillé l’adolescent qui mange un sandwich devant la boulangerie | l’homme immobile dans la vitrine du photographe regarde les fesses des deux joggeuses qui passent | le couple de lycéens s’embrasse à nouveau | trois enfants avec leur cartable sur le dos s’arrêtent à côté de la vitre sale de l’arrêt du bus | je ne connais personne qui a acheté de matelas sur une place de village | une odeur de parfum et de jasmin apparaît au moment où la voiture garée devant le distributeur de billets démarre | un pigeon roucoule | un scooter passe sur la roue arrière | un homme essoufflé à la peau noire s’assoit à côté de moi sous l’arrêt de bus | un chien tenu en laisse par une jeune femme exagérément maquillée pisse au pied du poteau sur lequel est affichée l’annonce de la vente de matelas | une petite fleur rouge pousse dans le caniveau juste devant la boulangerie | l’homme à la peau noire assis à côté de moi sort un téléphone et tente d’appeler mais il semble que personne ne décroche | l’homme immobile dans la vitrine du photographe a disparu | les trois enfants avec leur cartable sur le dos parlent d’une série télévisée dont je ne me souviens plus le nom | la sirène de la caserne des pompiers retentit à midi comme tous les premiers mercredis du mois | j’ai faim | l’homme de la vitrine du photographe sort de l’échoppe et ferme à clef la porte d’entrée | le bus numéro vingt-huit arrive | l’adolescent a fini son sandwich et jette la serviette en papier dans une poubelle sur le trottoir | après je ne sais plus parce que je suis monté dans le bus | il y a devant moi une foule de trois mille neuf cent quatre-vingt-trois pensées qui me font un signe de la main | exactement

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

2 commentaires à propos de “#anthologie #13 | arrêt de bus exactement”

  1. Je viens de passer un beau moment dans cet arrêt de bus ! J’y étais. toutes ces scènes bien vivantes qui s’enchevêtrent à travers votre écriture comme dans la vie. Beaucoup aimé ce te texte. Merci !