#anthologie #13 | à la grand-messe

Du côté des dames, trois petites vielles se lèvent, s’assoient, s’agenouillent. Une statue porte un enfant qui porte un oiseau dont la tête a été arrachée. Les enfants de chœur glissent leurs bras dans les manches de l’aube puis les secouent avant de sonner la clochette. Au vitrail, le curé d’Ars sourit et sainte Cécile caresse la lyre. On entend la voix vibrante et rauque d’une soprano qui a trop fumé. Des hommes luttent sur les bancs pour ne pas s’endormir. Le plafond de bois est moisi par endroits. Une tenace odeur d’encens refroidi prend les fidèles à la gorge. Les trois vieilles disent les mots qu’il y a dire. Elles disent amen à tout et que ta volonté soit faite. D’autres font semblant. On les a traînés là ils ne savent pas pourquoi. Ils regardent sans les voir les gestes du curé, l’hostie qu’il élève, la coupe, les cloches qui se mettent en branle. Une mouche vole. On n’ose pas la chasser. Sur un tableau, un jeune homme très blanc, très maigre, pleure des larmes de sang. Une dame fait signe aux gamins d’aller chercher les bougies, de les allumer, de se tenir bien droit, de ne pas parler. Les pièces tintent quand elles tombent dans les paniers. Les cravatés exhibent des billets. Ils sont arrivés en retard, ont traversé l’allée centrale, se sont assis presque tout devant. Les dames ont enlevé leur chapeau. Personne n’ose enlever sa veste. Les micros ne fonctionnent pas bien. On ne comprend rien à ce que dit ce vieux qui marmonne dans sa barbe. On regarde sa montre discrètement. Le sermon a duré dix minutes. C’est trop long. Le bois craque. On se passe les livres rouges. On tourne les pages. On ouvre les bouches pour faire croire qu’on chante et les saints dans les vitraux appellent les litanies : sainte Marie-Madeleine, saint Louis de Gonzague, saint François de Sales, saint Pierre Canisius, saint Nicolas de Flüe, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Jean-Marie Vianney, priez pour nous, ânonnent les petites vieilles, rejointes dans leur prière par l’âne qui broute et qui braie dans le pré d’à côté. On a ouvert la porte. Les conseillers de paroisse s’affairent, déplient les pieds des tables, tire-bouchonnent, ouvrent des paquets de chips. Une mouche tourne autour d’une espèce de cercle de métal, elle se laisse happer par celui-ci, ne verra plus le jour. Les radiateurs brûlent les mollets fatigués par des exercices imposés, debout, assis, à genoux. Les fleurs du bout des bancs fanent. Elles attendent que ça se termine. Les gens font la queue. Ils tendent les mains, ouvrent la bouche, disent amen encore une fois. L’orgue vibre. Il murmure puis il hurle. La chaux qui sur les murs recouvre les fresques se fissure par endroits. Le prêtre lève les mains, les joint, les ouvre, il marmonne des formules magiques que personne ne comprend. Les fidèles se passent le pouce sur le front, puis sur la bouche, puis sur le cœur. Un enfant se met à hurler. Un homme le porte. Ils sortent. D’autres enfants se sont avancés jusqu’au banc de devant, qui est plus bas que les autres. Ils grimpent, ils rampent, ils sont à deux doigts de tomber. Les petites vieilles les regardent sévèrement. Un chat se balade dans l’allée centrale, il monte le petit escalier qui mène au chœur, tourne autour des jambes du sacristain, qui va rapporter le calice dans le tabernacle, et deux hommes au dernier rang pouffent de rire (tabernacle, calice, lit-on sur leurs lèvres qui contrefont l’accent québécois) alors que leurs épouses leur donnent des coups de coude agacés. Dehors, l’âne s’en donne à cœur joie. Le curé secoue le goupillon, agite l’encensoir, tend les mains vers l’assemblée. Des gens toussent, importunés par l’écœurante odeur d’encens chaud qui redouble celle de l’encens refroidi. Les dames se sont emparés des sacs à main qu’elles tiennent fermement sous le bras. Les hommes ont décroisé les bras. Un enfant demande si c’est bientôt fini. Les saints sur les vitraux ont l’air de s’ennuyer à mourir. Ça commence à causer tout haut. Ça bouge. La vague reflue vers la sortie où l’âne s’est tu, effrayé par la volée de cloches qui annonce midi. Le curé sert des mains, les enfants de chœur distribuent le bulletin paroissial, les verres sont pleins, les petites vieilles sortent les dernières, pliées en deux sur leur canne. Les saints jaloux restent coincés dans leurs vitraux. Sainte Cécile, imperturbable et silencieuse, caresse sa lyre.

A propos de Vincent Francey

Enseignant, chanteur et clarinettiste amateur, je vis dans la région de Fribourg, en Suisse, et suis passionné de lecture et d'écriture depuis toujours, notamment via mon site a href="https://www.lie-tes-ratures.com/">lie tes ratures mais aussi sur un blog né à la suite de l'atelier d'été sur la ville : fribourgs.com. Auteur d'un livre autoédité, Je de mots, dictionnaire intime, je suis également présent sur YouTube pour, entre autres expérimentations, y parler de mes lectures.

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