#anthologie #13 | 3983 signes pour la 167

C’est un parc où sont les êtres. Comme dans le rêve, les sangliers sans visage. On ne voit que leurs œuvres : la terre dénudée d’herbe, le contenu des poubelles étalé. Maintenant, un chien seul, paisible. Il m’ignore. Il passe près des fleurs bleues. Il n’en connaitra pas la couleur. À distance un autre massif de fleurs mais jaunes et leur nom n’est pas ici. D’autres chiens apportent leur humain. Des humains apportent leur téléphone. Des enfants leur trottinette. Il n’y a pas de chevaux, le renard est probable. Pas de mouette, des petits oiseaux, de ceux que l’on aime, dans les arbres, invisibles. Les abeilles et les guêpes viennent à la fontaine boire. Les moustiques sont insistants, infiniment renouvelés. Les vers au cœur de la terre sont plus nombreux que tous les yeux d’une ville éternelle. Tous bougent, d’aucuns très lentement, les huit tilleuls, le conifère bleu vert, je n’ai pas son nom, les rejets au pieds des troncs, le mur de ronce au bord du talus, s’étirer, tendre le bras pour détacher les mûres et les donner aux enfants aux yeux levés. Les arbres aussi sur le talus en pente raide ont leur nom, j’en connais certains, mais ils sont mêlés et je vois seulement un bois serré existant par lui-même, comme les brins d’herbe forment une pelouse, comme les enfants forment pour peu un monde par leur jeu, comme le parc existe comme tel, d’abord comment forme, délimité par un grillage et une rangée, un mur surmonté de grilles, les pentes, des bancs de métal brun parsemés qui offrent la quiétude et un oubli momentané. L’emplacement est dicté par les préférences d’ombre. Centré par rapport à sa bordure, un chemin bétonné suit représente un rectangle arrondi où les enfants tournent avec leur bicyclette, ceux qui marchent marchent, ceux qui courent courent. C’est le lieu pour éprouver la répétition, être dans le long intervalle entre deux nombres, pour se lasser du temps. Un jour pendant que mon fils courait, j’ai vu près de mon ombre celle de l’herbe, et elle se balançait au vent léger d’un printemps passé. Au centre, les jeux. Pendant longtemps ils étaient dangereux, ils ont été remis à neuf, l’assesseur constatant qu’ils branlaient a appelé les préposés de la mairie. Le soir les adolescents s’assoient sur les balançoires, boivent et fument sans entrain, abandonnent à terre les bouteilles vides, comme les enfants l’après-midi laissent tomber les suaires de plastiques scellant leurs biscuits industriels. Lorsque les enfants jouent, les parents s’assoient sur bancs au nombre de six. Ils les regardent, ils les oublient, ils simulent une vie sociale. Les moitiés de couples adultères ne se rapprochent pas, ils s’évitent à mesure de leur désir, ils jouent une comédie fastidieuse, les baisers sont réservés aux adolescents le soir, la discipline aux visiteurs du matin, simplement marchant mais déguisés en sportifs, courant avec sévérité, ou bien autour du cadre supportant les machines d’exercices effectuant quelques tractions puis s’arrêtant et partageant récits et statistiques puis recommençant. Le plus souvent un visiteur seul, obstiné, silencieux, ne s’accordant pas de pause. Parfois, c’est moi, descendant de l’école, la furie du matin tombée, je me sens vide face au jour. Juché sur la bicyclette, pédalant debout sans avancer, les mains quittent le guidon, les bras sont lâches le long du corps qui devient vertical, les yeux se ferment. C’est là que reviennent les jours de pensée pour celui qui est mort près d’ici, seul, fou, nu.  C’est au corps de rendre plausible l’équilibre, en réduisant l’amplitude des balancements, des inclinaisons. Il faut qu’il oublie celui qui le pense, qui se pense. Ne pas avancer est la récompense. Les feuilles existent une à une dans un seul regard. Les saisons ne sont plus successives. La pluie donne un poème. Tout cela, une caméra juchée sur un mât le prend pour en faire une image, sans que l’on sache si elle atteindra un regard. Le parc porte un nom, c’est un nombre : cent soixante-sept.

A propos de Tristan Mat

Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. A la main. Site http://www.tristanmat.net/ Profil Facebook: https://www.facebook.com/tristan.mat.735

2 commentaires à propos de “#anthologie #13 | 3983 signes pour la 167”

  1. Superbe texte, plein de vie !
    Beau : Le chien qui ne reconnaîtra pas la couleur des fleurs, « Les vers au cœur de la terre sont plus nombreux que tous les yeux d’une ville éternelle », « les enfants forment pour peu un monde par leur jeu », « La pluie donne un poème ».
    Et plein de surprises, d’inattendus.
    Merci.
    Joie de te lire à nouveau ici.

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