Alger. Le port. Alger la blanche. Méditerranée bleue qui fait mal aux yeux. Des cargos.
A-t-il pris le bateau de nuit mon père ? Je n’ai jamais su.
Alger qui bruisse et qui grouille, des éclats arabes, français, kabyles. Casbah à travers les siècles, une femme balaye devant sa porte, foulard noué, sourire à la volée, un vieil homme et sa cigarette et son bonnet marin sur djellaba. « Vous êtes chez vous, ici », encore et encore, et le port qui agrippe. Il me dit part, il me dit reste. Les graffitis sur les murs honorent les morts que nous camouflons chez nous, chez moi. Le soleil éclate. C’est étrange, la ville est blanche, ses toits sont blancs, les draps qui sèchent sont blancs, les mouettes sont blanches et pourtant les rues que je traverse m’éclabousse de gris, d’ocre, de verts et d’oranges vifs qui roulent au sol, entre des foulards amazigh suspendus aux broderies plus criardes que les hommes dans la rue.
Gori. La maison de Staline, perché au centre de la ville, barreaux prisons, barreaux hommages. Viens, on va voir la maison de Staline ! Trois verres de vin, une cha-cha, liqueur locale. Ca nous fait rire sur la grande place où la lune immense éclaire les bancs en bois et les chiens errants qui nous suivent curieusement. Devant la maison, ça fait moins rire. Quelque chose pèse dans la poitrine. Ici, un enfant buvait son lait, et après le monde a éclaté et aujourd’hui encore, derrière la montagne, il y a l’autre. Ou sommes-nous l’autre ? Les ruelles autour sont figés dans le temps, la brique et les pavés. Les vieilles rues ça se moque de l’Histoire, ça en a vu d’autres. Des ottomans, des byzantins, des barbares. Plus haut dans le parc de la forteresse, sept guerriers dorment, mutilés vaillants qui ont défendu la ville, on ne sait même plus contre qui. Il y a toujours un ennemi à combattre. Soviétiques et massifs, ils n’ont pas de visages et pourtant, ils savent nous faire comprendre qu’il ne faut pas les déranger trop bruyamment.
Le Havre, hiver. La ville flotte. J’ai toujours l’impression ici que les gens flottent. Enclavé. Les cheminées au loin, immuables. Les paquebots en sieste. Escaliers dérobés entre la ville du haut et celle du bas. Ciel gris, gris, gris qui va nous tomber sur la tête. Les gaulois vont sortir des docks. Le vent siffle entre les arcanes, suivant le chemin de sa symphonie, sous les cors du port et les agacements des goélands. Cette ville a une bande-son. Je n’avais jamais ressenti ça avant. Elle appartient au vent et il l’a fait chanter. Les châteaux de galets perdus sur la plage sont des offrandes païennes au Vent.