#anthologie #12 | Trois villes

Montréal
… comme Montréal est une ville « qui se marche », elle est aussi celle qui favorise le repos au fil des promenades. Elle compte des centaines de chaises massives, colorées, sièges de téléphérique, bancs à angle droit, bancs bacs-à-fleurs ! « On ne vient pas à Montréal pour admirer l’architecture urbaine », me disait S. quand je m’étonnais à mes premiers séjours que le plus kitsch côtoie le plus sobre, que l’ancien se mesure au contemporain, et je reste encore étonnée par la proximité rue Sainte-Catherine d’une belle église anglicane étalant ses toits verts au milieu des buildings modernes, tout près d’une tour rose pastel. Ce que je n’ai pas dit de Montréal, c’est qu’au fil du temps, la misère a envahi les rues – corps allongés sur les trottoirs, mendiants qui tentent de gagner quelques sous en jouant du pipeau, ivrognes qui invectivent les automobilistes aux carrefours, files de personnes attendant leur tour à la banque alimentaire du coin, individus qui relèvent de la psychiatrie haranguant le passant – tout ce qui ne se voyait pas il y a quelques années encore. L’immobilier ici est hors de prix ; dans le quartier du Plateau du Mont-Royal les Français en sont pour beaucoup responsables ; beaucoup de bureaux en ville sont en construction alors que d’immenses espaces restent vides et pourraient être utilisés pour les personnes en difficulté. On ne trouve plus dans Montréal ces « hôtels de chambres »,  je crois que c’est ainsi qu’on les appelait, avec des parties communes, qui se louaient pour quelques dollars et qui manquent tellement à la ville. Des résidents se plaignent de l’invasion des itinérants dans leurs entrées d’immeubles, avec tous les inconvénients que cela engendre, une association de lutte contre les dépendances disait les difficultés de poursuivre sa mission quand les subventions ne suivent plus… Tout n’est pas rose ainsi que ce bel immeuble, dans cette chouette ville de Montréal…

Etang-Salé
Après l’atterrissage à Saint-Denis, après avoir longé la nouvelle route du littoral qui surplombe l’océan Indien – aux coûts exorbitants et dont je ne sais même plus si les travaux se poursuivront ou non jusqu’à La Possession qu’elle était censée relier à la capitale de l’île – ce que cette arrivée toujours rappelle, la naissance d’un enfant, la vie choisie ici, la distance effrayante quand j’y regarde de près entre la métropole et ce joyau posé au milieu de l’eau. Je me souviens avoir été séduite par les maisons, ces cases ornées de lambrequins qui leur donnent un air de fête. En bois, couverte d’une toiture à quatre pans, la maison typique réunionnaise est une version moderne des anciennes paillotes où vivaient les exilés de l’époque coloniale ; recouverte de bardeaux qui facilitent l’écoulement de la pluie et la protègent aussi du vent. Typique aussi, le baro, grand portail en fer forgé qui sépare l’habitation du reste de la rue. Dans la commune de l’Etang-Salé où je me rends, sur la côte ouest de l’île de La Réunion, une station balnéaire (Etang-Salé-les-Bains) offre une plage de sable noir – mélange de basalte, d’olivine et de corail – brûlante en été, et je me souviens avoir été surprise il y a quelques années par mes capacités à sprinter jusqu’à l’océan pour m’y rafraîchir la plante des pieds ! À la fin du XIXe siècle, des milliers de filaos ont été plantés sur les dunes pour y retenir le sable. Ils remplacent les sapins de Noël sous les tropiques. Traversant le centre-ville, il faut se rendre dans les hameaux des hauts (Etang-Salé-les-Hauts) qui s’appuient à la montagne. Le climat y diffère « d’en-bas », l’air y est toujours respirable et les touristes moins nombreux que sur les bords de l’océan. La ville doit son nom à un petit étang – qui n’existe plus – anciennement formé par la mer. Sa devise « Entre mer et forêt » s’explique par la présence d’une forêt dont je comprends que les administrés tentent de la conserver pour en éviter la déforestation au profit de l’extension d’un terrain de golf…

Tozeur
À Tozeur, chaque porte de la ville est surmontée d’un vers du poète national Abu El Kacem Chebbi.« Si un jour le peuple décide de vivre, alors le destin ne peut que se soumettre. » Cette parole a enflammé le désir d’indépendance du peuple tunisien –  l’hymne national le cite –, devenue la phrase fétiche du monde arabe, inspirant un désir de liberté. Mais peut-on vouloir se prendre en main sans Dieu ? La phrase a été jugée blasphématoire par la mosquée de la Zeitouna… Le poète renié revient mourir à Tozeur. Des cars déversent leurs touristes dans la ville, Ibn Khaldoun observe tout cela de sa hauteur quasi céleste, perché sur un piètement de mosaïque bleue que supporte une double colonne de pierre grise. Le marché s’étend dans les rues de la ville, dattes, oranges sanguines, choux divers et raves, tentent les touristes nombreux en ce mois de décembre, je déambule comme chacun dans les ruelles aux bâtisses de pierre claire et aux portes ouvragées posées entre deux murs de béton, étonnée que cette oasis soit victime d’un manque de civisme navrant avec le dépôt incompréhensible de déchets en tous genres… Comment est-il possible de laisser ainsi se côtoyer les plus belles inscriptions poétiques et la puanteur d’une déchetterie à ciel ouvert ?

A propos de Marlen Sauvage

Journaliste longtemps. Puis dans l'édition. Puis animatrice d'ateliers après une formation Elisabeth Bing et DUAAE à Montpellier. J'anime encore quelques stages d'écriture, ai contribué aléatoirement au site des Cosaques des frontières, publié quelques livres – fictions et biofictions – participé à plusieurs ouvrages collectifs. Mon blog les ateliers du déluge.

Laisser un commentaire