Une fois calé sur le phare des Héaux de Bréhat, on trouve la ligne plus claire du sillon de Talbert, cordon de galets et de sable comme une rambarde guidant vers l’entrée de la rivière. Le Jaudy brille, métallique, entre ses berges de pierres dépouillées et boudeuses qui laissent finalement la place à du vert, des arbustes, des arbres. Le vent tombe un peu, le bateau avance doucement au milieu des pâtures sur un chemin creux d’eau entre deux haies de broussailles. Avant de voir la ville, on tombe sur le port, des rangées de bateaux garés dans le courant. Bientôt on sera l’un d’eux, on aura plus besoin de s’occuper de la manœuvre, on pourra lever les yeux et enfin repérer la flèche qui indique où se trouve la cathédrale.
La toponymie aux environs de Saint-Malo est une histoire de marins, elle rappelle la maison, tout ce qui manque quand on est sur la mer. D’abord le Grand Jardin, le phare à l’entrée du chenal, puis quelques forts en guise de serrures, en-dessous le Banc des Pourceaux et puis les hauts murs, l’enceinte de la citadelle, le chez soi. Mais pour y accéder à ce chez soi, il faut prendre la petite porte, celle de l’écluse, celle des bassins aux quais de pierre, aux montagnes de marchandises en attente, celle d’en bas de la ville, en bas des remparts, des murs qui défendent l’entrée, sévères, austères et froids, loin de la chaleur des embrassades d’un retour. Saint-Malo est une ville de départs, une ville grande sous la pluie.
Pour accéder au port de Dunkerque, le chenal est un peu un canal à long col et d’étroite embouchure. Une cigogne y passerait aisément son bec mais un renard n’y aurait pas accès. De loin depuis la mer dépassent quelques piques, phares, beffroi et clocher, mais la ville ne devient ville avec ses bâtiments, immeubles, rues et mouvement que pour qui a passé l’épreuve du chenal