Une route en lacet mène au clocher, fruit curieux juché au sommet du promontoire. qui paraît à chaque instant sur le point de s’effondrer emportant le poids du bourg, ainsi que Jacques, le haricot magique, les poules aux œufs d’or. En contrebas, des étendues de lavande se précipitent à l’assaut des falaises, à peine entravées par la ligne des pins. Le violet vire au grenat. Le flanc de la falaise paraît bleu. La silhouette du bourg se rapproche puis disparaît derrière la côte. Faute de véhicule sur la chaussée, les lignes réfléchissantes sont invisibles. Au terme d’un peu plus de trois kilomètres de côte, la porte massive du fort s’ouvre sur une large cour pavée faiblement éclairée par quelques réverbères. Les rues sont désertes, les fenêtres sans lumière. Une ruelle se tortille et s’éloigne derrière les remparts ouvrant vers d’autres cols et d’autres bourgs le long de l’ancienne frontière. Que dire des sons également dans cette bourgade relativement retirée ? Aux percussions franches du jour, coups de becs contre le tronc sec, claquement du talon contre le pavé, bricolages divers de maisons anciennes toujours à rafistoler, à ces sons nets que l’on devine sans pourtant les avoir entendus, ont fait place des sonorités coulantes, comme baveuses, jamais tout à fait interrompues, en contrebas les cigales entêtées à cette heure avancée, la chouette invisible dans les étendues de lavande désormais éteintes, tantôt mâle, tantôt femelle, un vague ruisseau enfin alors que l’on arrive au bout de la côte, qui semble couler sous vos pieds, traversant la place de part en part sans que l’on sache jamais en retracer bien nettement le cheminement.
F, en périphérie de G avait des airs de Moselle, de Meuse, avec ses étendues périurbaines semées de concrétions gigantesques que l’on eût cru conçues par des insectes obstinés si on ne les avait sues œuvre humaine, bizarreries de brique et de ciment tantôt lourdes et circulaires, tantôt filant en pointe vers le ciel : silos, cimenteries, fours, mines de sel, que reliait une voie de chemin de fer qui, lorsqu’elles ne charriait pas divers tonnages dans ses trains de marchandises, acheminait via d’autres faisceaux, les rares voyageurs circulant de nuit sur ce tronçon peu fréquenté, longeant le bourg, les maisons de plain-pied, les jardins soignés, le PMU, les rideaux métalliques tirés rougeoyant sous la lueur de quelques néons aux teintes criardes. Le train semblait s’arrêter en rase campagne à quelques centaines de mètre de l’entrée du bourg.
Les roseaux sur l’étendue d’eau. C’est orange et c’est noir. A l’arrière, il y a le bleu des ruelles et les vitrines éteintes des cafés. Il y a dû y avoir un avion, un jour. Supposons le tarmac d’un petit aéroport, supposons qu’il n’y avait pas de car pour vous acheminer à la sortie, qu’il y eut des magasins de sandwiches très chers, un homme qui vous attend, puis un trajet en bus. Il ne reste rien de cette ville, ni du paysage à la vitre de ce bus dont on ne sait même pas s’il vous a amené jusqu’ici, dont on ne sait pas non plus précisément où cela se situe. Après les roseaux face à l’étendue d’eau, c’est la forêt de conifères, et nul chemin non plus, ni mental, ni physique, qui mène de l’un à l’autre. Un jour je suis venue à Helsinki. Je n’en ai rien retenu. Des autres lieux non plus. Alors j’ai inventé.
La grande image, elle est si répandue cette expression, elle m’exaspère, donnez-moi la grande image, je veux voir la grande image… Je souhaite avoir le panorama d’ensemble… Cette omniprésence du visuel… Investir un lieu est affaire plus animale, des histoires rances de terrier… Faites-moi renifler la solution, l’intuition, grattez, pétrissez, on tient un truc… La grande image ? Des boulettes de papier froissées.