#anthologie #12 | Tamanrasset, Tananarive, Gustavia

Aller à Tamanrasset. Atterrir et prendre la route qui conduit de l’aéroport à la ville est déjà une expérience. On jouit de vues sur le désert, sur des formations rocheuses inconnues, plus loin sur des montagnes. C’est blanc, ocre, bistre, brun, voire rouge. Le ciel est laiteux, chargé de sable. Ça réjouit nos yeux, avides de changement. Mais constater que le ruban d’asphalte plus ou moins entretenu sur lequel roule votre taxi est bordé d’arbustes chétifs fleuris de vieux plastiques noirs fait instantanément baisser de plusieurs degrés votre baromètre « aventure à Tamanrasset ». Pas de signes de vie sur les bas-côtés, si on excepte ces drapeaux de plastique, pas de chameau, aucun touareg, pas même une chèvre. On entre dans la ville, une ville plate. Quelques heures plus tard, on est sur un marché, cosmopolite, vivant. Enfin des Touaregs aux chèches indigo et aux regards de braise, des arabes, venus pour commercer, des membres de peuples subsahariens sédentaires ou en partance, parmi lesquels on reconnaît des Peuls à leur silhouette aristocratique. Des femmes tatouées au henné, derrière des étals d’épices. Des chameaux, des chèvres et les senteurs qui vont avec. Le temps de marchander, en français, quelque croix d’Agadez ou une paire de sandales à l’odeur persistante, de boire un thé saharien, de manger un couscous, de passer un moment dans un hammam pour touristes, Tamanrasset, c’est fini. L’aventure sera pour demain, vous partez pour huit jours, en quads, dans le désert avec des amis algériens.

Lorsque vous arrivez par temps clair, en avion, à Tananarive, le spectacle est formidable. Surtout au printemps. La ville est serrée, à étages, vous ne savez où poser les yeux. Les rizières en terrasses donnent un aspect géométrique aux collines, en bas le lac Anosy est entouré de jacarandas en fleurs. La ville haute possède de beaux édifices, des ruelles en descendent par escaliers, les maisons traditionnelles en brique rouge qui les bordent sont coiffées de toits de tôle qui scintillent au soleil. Ce qui vous réjouit surtout, c’est la lumière, chaude, intense, vibrante, éclatante, je dirais même fascinante, car elle accuse les contrastes entre les objets dans l’ombre et les objets éclairés. Elle magnifie tout. J’ai vécu à Tananarive, j’ai écrasé au printemps les fleurs violettes de jacaranda tombées dans la cour du lycée. Elles explosaient sous nos talons d’élèves de la haute ville. J’ai dégringolé les escaliers pour attraper à la gare un taxi brousse qui m’emmènerait chez mes parents. Je me souviens que tout le long du chemin, il y avait, par terre, des grains de riz cuit. Tout le monde mangeait du riz, à tous les repas. On jetait l’eau de vaisselle dans la rue. Ça ne s’invente pas des détails pareils. Pas sûr que les gentils Malgaches mangent aujourd’hui du riz à chaque repas. Leur pays est le plus pauvre du monde. Leur reste la lumière de leur île pour ne pas désespérer tout à fait.

Gustavia, capitale de Saint Barthélémy dans les Antilles françaises est doté d’un aéroport considéré comme l’un des plus difficiles du monde. Sa piste est courte (646m) et délicate, elle surplombe la plage Saint Jean. Seuls les petits avions à hélice et les jets légers peuvent l’utiliser. L’approche finale est acrobatique, il faut faire le saut de puce d’une colline, puis piquer aussitôt en surveillant seconde par seconde la météo qui est très changeante. Faire attention de bien s’aligner avec la piste dès la descente, et se préparer à un freinage rapide, voire à remettre les gaz si l’opération s’avère trop périlleuse. On tentera alors une nouvelle approche. De plus, il faut dégager la piste rapidement et procéder à une vérification complète de l’appareil qui a pu souffrir d’un atterrissage de cascadeur. Si vous avez tenté l’expérience, vous êtes récompensé de votre hardiesse. La vue est spectaculaire. Les eaux de la mer Caraïbe sont turquoise, les plages de sable blanc. La petite ville est construite autour d’un port naturel. Ses maisons disposées en arc de cercle sont peintes de couleurs vives et joyeuses. Les toits sont souvent en tuile rouge, les façades garnies de balcon en fer forgé. Les jardins explosent de fleurs : hibiscus, bougainvilliers, frangipaniers, orchidées… Montez sur le morne au-dessus de la ville, regardez vers le large, en oubliant tous les yachts qui encombrent la baie, clignez des yeux, vous verrez, vous verrez les voiles d’un navire fantôme de flibustiers.

A propos de Emilie Kah

Après un parcours riche et dense, je jouis de ma retraite dans une propriété familiale non loin de Moissac (82). Mon compagnonnage avec la lecture et l’écriture est ancien. J’anime des ateliers d’écriture (Elisabeth Bing). Je pratique la lecture à voix haute, je chante aussi accompagnée par mon orgue de barbarie. Je suis auteur de neuf livres, tous à compte d’éditeur : un livre sur les paysages et la gastronomie du Lot et Garonne, six romans, un recueil de nouvelles érotiques, un récit hommage aux combattants d’Indochine.

4 commentaires à propos de “#anthologie #12 | Tamanrasset, Tananarive, Gustavia”

  1. Merci Eve de m’avoir lue. Oui, la lumière de Madagascar est exceptionnelle. J’y ai vécu adolescente, j’y suis retournée quarante ans plus tard. Beaucoup de choses avaient changé, pas la lumière.

  2. agréable de voyager avec vous, merci pour toutes ces découvertes
    « huit jours, en quads, dans le désert avec des amis algériens » ça promet de belle écritures…
    « j’ai écrasé au printemps les fleurs violettes de jacaranda » et déjà j’imagine l’odeur, non?
    Merci

  3. Merci Cécile,

    Écraser les fleurs tombées des jacarandas, c’était surtout très joyeux. Notre terrain de sport était ombré par des jacarandas ; le professeur était sans arrêt dérangé par nos explosions.
    Je n’ai pas énormément voyagé, mais j’ai eu la chance de vivre à l’étranger. J’ai des réminiscences prégnantes : les couleurs, la lumière, les odeurs, la cuisine et surtout les gens. C’est précieux.

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