#anthologie #12 | on n’a rien vu venir

Ziguinchor

Pour se rendre à Ziguinchor quand on arrive de Dakar en avion, il faut prendre une navette gratuite depuis le petit aérodrome de Cap Skirring. A Cap Skirring, beaucoup de touristes français, en général blancs et bien mis, un brin ventrus et grisonnants, s’arrêtent pour rejoindre les complexes hôteliers du littoral. Seuls continuent par la navette, les habitants de la région et les touristes moins argentés. La route suit la rive sud du fleuve Casamance. Elle coupe un estuaire sauvage très plat fait de rizières semi inondées (selon la saison), de mangroves et de bancs de terre rouille où perchent de grands oiseaux blancs – aigrettes, échassiers et pélicans. Parfois, on aperçoit furtivement le long de la route, une baraque sommaire dont le toit en tôle ondulée est tenue par des gros cailloux. Une femme cuisine debout, des enfants jouent avec des bouts de bois dans un éparpillement de sacs plastiques colorés, des barques de pêcheur, quenouilles de bois sombres, trempent dans l’eau calme. La traversée du pont de Niamabalang donne la mesure du paysage. On traverse ici une branche secondaire du fleuve Casamance mais elle est si vaste, si ample qu’on dirait un grand lac. Peu après la route bifurque vers le nord et entre dans une forêt où des fromagers déploient leurs ramures. Dans des trouées, on aperçoit des cases baignant dans l’ombre verte  et des panneaux rouillés : L’éco-parc est soutenu par l’ambassade d’Allemagne, l’école par l’Union Européenne, l’antenne satellite a été financée par la Chine. L’entrée dans la ville de Zig se signale par le flux croissant de motos, la densité des échoppes et la file de marcheurs qui longent la route d’un pas tranquille et élégant.

Zibo

Zibo est une ville du centre de la province du Shandong en Chine. Pendant cinq ans, je m’y suis rendu deux fois par an quand je réalisais des missions de conseil pour la grande entreprise de textile Luthai situé dans le district de Boshan. Zibo était une petite ville industrielle (4 millions d’habitants quand même) assez méconnue (mais j’apprends qu’en 2023, Zibo est devenue à la mode pour son art du barbecue grâce à un de ces engouements brutaux initiés sur les réseaux sociaux par de jeunes chinois). Depuis l’aéroport de Dongying, il faut deux heures pour rejoindre Zibo en voiture. C’était un des chauffeurs de l’entreprise qui venait me chercher. Souvent un type dans la quarantaine, court sur pattes et fumant des cigarettes « double bonheur ». Il buvait du thé de fleurs longuement macéré et grignotait des graines de tournesol sans dire un mot. Le paysage du Shandong, ce qui veut dire « à l’est de la montagne », a été abimé par l’industrie chimique puissante par ici. Les usines crachent de la fumée en quantité et le ciel est habituellement d’un jaune malsain. Je ne l’ai vu bleu qu’une seule fois par une journée d’hiver glacée. Le long de route, selon un déroulé hautement prévisible, des barres de logements ouvriers, un supermarché vieillot, un garage deux roues, uniformément couvert de la même poussière jaune sale. Derrière les habitations on aperçoit de mornes collines boisées, une rangée de peupliers tandis que la voiture file sur une autoroute à quatre voies peu fréquentée (les infrastructures sont souvent surdimensionnés en Chine car ici, on aime voir l’avenir en grand). A mi-parcours, il faut piquer franchement vers l’ouest. Le croisement gigantesque et vide est régulé par des feux de signalisation et un appareil décompte les secondes jusqu’au feu vert. Le compte à rebours comment à  300 secondes, le temps de voir venir Zibo.

L’autoroute vers Zibo

Beaulieu

J’arrive souvent à Beaulieu à pied. Beaulieu se trouve à la fin du parcours des collines de l’est de Nice : mont Boron, mont Alban, Plateau de la Justice, mont Leuze et  l’aire St-Michel. A l’aire Saint Michel, la mer occupe tout le paysage. Il faut se pencher pour voir en contre-bas pente le rivage, la voie de chemin de fer, la route du bord de mer. On descend par des raidillons périlleux et des escaliers taillés grossièrement dans la pierre. Sur le parcours, des filets grillagés sont tendus comme des dais au-dessus des toits des premières maisons pour éviter les chutes de pierres. La ville commence après les grilles. Les escaliers cimentés se faufilent entre les villas serties de hauts murs et coupent la route qui descend en virages serrés jusqu’au centre-ville. Le chemin des escaliers semble résulter d’une concession accordée de mauvaise grâce par les propriétaires environnants ; c’est la voie des entrées de service et des gouttières d’évacuation des eaux pluviales. On marche à l’ombre sans rien voir.  L’escalier finit brusquement et on se trouve soudain sorti du caniveau dans la lumière des bars d’hôtel et des restaurants en terrasse. On n’avait rien vu venir.

A propos de Geneviève Flaven

Je suis née à Paris en 1969. En 2001 à Nice, j’ai fondé une agence de conseil en design puis suis partie à Shanghai pour développer mes activités. Le départ en Chine m’a mené vers l’écriture et la publication. Depuis mon retour en France en 2019, je me consacre à la création et à l’animation de projets collaboratifs de théâtre documentaire en France et dans le monde. Théâtre : The 99 project (http://www.the99project.net/ ) Blog de mes années chinoises : Shanghai confidential (https://shanghaiconfidential.wordpress.com/)

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