#anthologie #12 | Los Angeles, Santa Teresa, Karlsruhe

Los Angeles

Il voit les villes d’abord par le hublot, la nuit les lignes lumineuses, les scintillements, les processions de phares, le jour, l’alternance des espaces verts et du bâti, la couleur que donne l’atmosphère sèche, tempérée, humide, les routes, les côtes, les rivières, fleuves ou lacs, les stades, les usines. L’arrivée à Los Angeles de nuit, ce fut ça, le noir du désert et tout à coup la féérie d’une ville lumière que seul l’océan peut éteindre. Les highways comme autant de tentacules lumineux sur lesquels il sera tout à l’heure. Cette arrivée-là, il l’a gardée en tête. Puis, dans l’aéroport après la douane, il se souvient de la descente des escaliers entre une haie de flics du LAPD qui le scrutent alors qu’il descend les marches, Ray-Ban, bras croisés ou pouces glissés dans la ceinture, visages fermés, chewing-gum. C’était comme à Hollywood, mais en vrai, avec l’envie de rire qui passe dès le premier regard. 

Santa Teresa

« Ils entrèrent dans Santa Teresa par le sud et la ville leur parut un énorme campement de Gitans ou de réfugiés prêts à se mettre en route au moindre signal. ». Moi, Santa Teresa, c’est par le Nord que j’y suis arrivé, directement depuis Tucson par la I-19. Je me souviens de la rupture entre le désert et son autoroute, l’arrivée à la frontière que passent à pied des Mexicains et des Mexicaines. Je me souviens de la file des camions entrant aux States que je quittais. Ce n’étaient pas des touristes que je croisais, mais des travailleurs réguliers, des frontaliers qui dorment dans des piaules à quelques pesos où ils s’entassent pour mettre un peu d’argent de côté jusqu’au jour où il pourront pousser plus loin, et se payer un appartement pour toute la famille à Tucson, Los Angeles ou Dallas. En entrant dans Santa Teresa par le Nord, je me sentais comme un vieux saumon remontant le courant que les autres suivent. Il me restait à trouver l’Hotel México. Je suis resté sur l’avenue principale, j’ai passé l’hôtel San Carlos, l’hôtel Regis, l’hôtel Contemporaneo, l’hôtel Gope, l’hôtel Olga, l’hôtel Frontera, l’hôtel Martinez. La ville était une série d’hôtels bas aux devantures usées. L’hôtel México était adossé à un bâtiment blanc abritant deux boutiques, l’une aux rideaux fermés sur le mur de laquelle était peint en lettres rouges Sonora’s desert pharmacy, l’autre à la porte ouverte indiquait toujours à la peinture Santos en jaune et Joyeros en rouge et, comme en un sous-titre orange, churas y reparaciones de joyeria de oro y plata. Il y avait une place devant chez Santos. Je me suis garé là. Un homme en tee-shirt à large bandes vertes me regardait.

Karlsruhe

Je n’ai aucun souvenir de mon arrivée à Karlsruhe. J’y suis allé en voiture depuis Strasbourg. J’avais dû traverser le Rhin à Kehl et prendre l’A5 vers le Nord. C’est sûr. Mais je ne m’en souviens pas, ni de l’itinéraire ni de la circulation. C’est une de ces arrivées qui semblent n’avoir pas existé. Je n’ai aucune image de la route elle-même ni de l’entrée dans la ville. J’ai été à Karlsruhe. Cette phrase est plus juste que « je suis allé à Karlsruhe ». Un jour, j’ai été à Karlsruhe, je m’y suis retrouvé, comme si j’étais apparu là-bas ou, c’est plutôt l’impression que j’ai aujourd’hui, comme si la ville m’avait saisi, comme si elle m’avait enveloppé ou encore comme si elle m’avait aspiré. Ça n’a rien à voir avec un rêve où je me serais retrouvé dans une ville inconnue qui s’appellerait Karlsruhe. Je sais que je suis parti de Strasbourg. Puis, j’ai été à Karlsruhe. Entre les deux, une heure et demie de ma vie, quatre-vingt-dix minutes, la dureé d’un match de foot, se sont évaporées. Il ne m’en reste rien que ces quelques lignes et le plan de Karlsruhe que j’avais acheté avant de partir.