#anthologie #12 | loin de la convulsion méditerranéenne

L’arrivée se fait par les villes de la frontière, cette frontière mobile qui se déplace au fur et à mesure de la guerre, Conil de La Frontera, Chiclana de La Frontera, Herez de La frontière, et nous arrivons à Séville par le grand pont et les rives du Guadalquivir, et même immergés dans le trafic de la fin de l’après-midi la ville est calme, elle reste calme et silencieuse, différentes des villes méditerranéennes et leur convulsion, elle a détruit et englouti ses traces, la domination a eu lieu.

Tout est noir maintenant, l’avion commence sa descente dans la nuit, les lumières de la mégalopole sont parsemées, la nature demeure dominante, je rentre dans cette ville et je ne vois pas encore les terres ensevelies sous le marécage du grand delta et les maisons sur pilotis. Douala est encerclé par les eaux, immergé dans l’eau, les grands panneaux Orange dominent le centre ville et les petites pancartes Orange du transfert d’argent tous les marchés et les coins de rue, ici la guerre est celle invisible du contrôle de la ville marais, du contrôle des infrastructures qui la plongent dans le marécage, dans le delta, le port est immense et suis les contours de la ville, les hangars se succèdent, Bolloré est à ce moment bien installé ici, sur le deuxième port d’Afrique, avant le grand procès qui l’opposera à l’état camerounais et je rejoins la périphérie, là où il y a un lit et une moustiquaire pour cette nuit d’arrivée et des règles imprévues pour célébrer ce franchissement d’une frontière intérieure. Voir cette guerre sans fin.

A Jérusalem il n’y a pas d’aéroport, ce terrain là aussi a été occupé. J’atterris à l’aube à Tel Aviv, dans la lumière circonspecte de l’aube la traversée de l’aéroport, blafarde, je me suis préparée à la circonspection, tout de suite une machine me photographie à mon insu pour une reconnaissance faciale et elle éjecte une carte d’entrée bleu claire que je dois garder toujours avec moi, me dit quelqu’un à la manière militaire et la police est derrière les vitres. Machines et police. Le train pour Jérusalem part de la gare de l’aéroport, il est bondé, beaucoup de manifestants avec les drapeaux israéliens qui se rendent à la Knesset, ils, car ce sont surtout des hommes, ont l’air préoccupés, le train est très rapide et il traverse ces collines d’oliviers et de pierres que j’ai lu dans la Bible et vu dans les films, oliviers, pierres, fil barbelé et mur, tout de suite nous traversons ce visage de la guerre et j’arrive dans le souterrain de la gare Centrale en plein Jérusalem Ouest, à l’office de tourisme on me répond avec agressivité quand je demande du centre, je n’ai pas mesuré la guerre, déjà là, bien avant le 7 octobre. Je remonte vers la lumière de la ville en construction, des grues et des chantiers partout, là aussi dans ce béton armé c’est la guerre, et à l’arrivée on me parle des tunnels secrets, des muscles des jeunes garçons, dans la ville je suis entourée de militaires, la guerre est à chaque angle de la rue, dans les regards et la suspicion, dans des fouilles tout le temps, pour visiter les lieux sacrés on passe des check-in avec des photos des jeunes militaires tués, pour aller prière à la mosquée la foule parcourt le chemin de la croix et l’esplanade sacrée est violé par des manifestations aux portes. La tension ne s’arrête jamais.

A propos de Anna Proto Pisani

Passionnée par la création et l’écriture, j'ai publié des textes et des articles sur différentes revues et les ouvrages collectifs sur la littérature postcoloniale Les littératures de la Corne de l’Afrique, Karthala, 2016 et Paroles d’écrivains, L’Harmattan, 2014. J'ai créé et fait partie du collectif des traductrices de Princesa, le livre de Fernanda Farìas de Albuquerque et Maurizio Iannelli (Héliotropismes, 2021). Je vis tous les jours sur la frontière entre la langue italienne et la langue française, un espace qui est devenu aussi ma langue d’écriture.