Sortir de la petite gare par une porte cintrée ornée de briques rouges entre deux panneaux d’azulejos face aux tables et fauteuils verts d’un café, traverser, m’y attabler, sortir du sac la petite plaquette prise à côté du comptoir de l’hôtel ce matin, arriver à demander un chocolat, tenter de comprendre le plan succinct et réaliser qu’un peu plus loin, sur la droite, un car vient de démarrer… Je murmure un « merde » et le rire du garçon débout à la porte du café y répond. Je tente de mimer l’idée de loin et il me répond que « non ce n’est pas très loin ». Il me précise que bien sûr Sintra j’y suis déjà mais que ce que je veux voir, le château, oui ce n’est pas bien loin et je lui demande où il habitait à Paris « La Courneuve » « ah moi le Père Lachaise » « suivez la route ou la rue là… ça descend un tout petit peu et au rond-point déjà vous verrez les deux tours des cuisines au dessus des arbres ». Je le remercie, installe l’anse de mon panier sur mon épaule et m’en vais les yeux en mouvement. De Sintra je garderai le souvenir d’un soleil merveilleux venant après la pluie de la veille sur Lisbonne, des courbes descendant dans la verdure jusqu’au centre, des boutiques et de leurs poteries comme partout, des hordes de touristes, de ces deux longs épis de maïs blancs qui sont des cheminées, de ma honte en me trouvant proche d’un groupe de Français en voyage organisé; de leur vulgarité et de leur arrogance, de la gentillesse d’un gardien et du garçon de café que j’ai retrouvé pour discuter de tout et de rien en mangeant une omelette de pommes de terre en début de soirée avant de reprendre le train pour Lisbonne… et vaguement de la beauté des pièces du palais.
De Venise je ne peux dire que je ne retiens que l’arrivée, les splendeurs, des déliquescences, de la paix et du charme des campi dont elle constitue l’ouverture me l’interdisant, ne peux dire donc que je ne retiens que le réveil dans le train de nuit, du jour se levant au delà de la fenêtre devant lequel j’étais à plat-ventre dans un de ces minuscules espaces personnels des trains de nuit de seconde classe à l’existence éphémère dans les années 1990, et de l’émerveillement de l’accueil, l’embrassement de la ville en débouchant sur le quai-parvis… les gens assis sur les marches, le canal, comme si un tapis-volant décollant depuis la place sous la tour de la gare à Paris m’avait déposée là, un peu étourdie, intensément ravie.
Après la première errance dans les rues depuis l’hôtel, errance limitée par la crainte de me perdre dans les rues de Bruges dans laquelle ne suis arrivée que ce matin, après le temps dont je ne connais la durée, puisqu’elle ne comptait pas, passé à marcher, m’arrêter, rester en contemplation, reculer un peu, avancer jusqu’à presque humer le bois, la peinture, repartir, passer rapidement devant une œuvre, me bloquer à nouveau devant une autre, revenir lire les cartels en tentant de les comprendre et renonçant à retenir les noms sauf les plus célèbres bien entendu dans les salles presque vides, j’ai passé la grille fermant la cour du Musée Groeninge et suivi derrière un couple taiseux, un peu voûté, la rue étroite entre les murs de briques d’un rouge décoloré, dépassant une boutique, quelques maisons austères et débouchant dans la clarté du Dijver, la rue pavée presque large, la promenade sous les arbres, les marcheurs qui à cette heure et en cette saison ne sont pas tous des touristes | un homme penché sur-la roue de son vélo, des gamins, sacs au dos, accroupis pour jouer aux billes, du moins je le pense, une famille assise en rond sur le sol, autour d’un panier d’où ils tirent sandwichs, bouteilles de jus de fruit, chips à quelque mètres du canal |ce canal vers lequel je vais, m’arrêtant devant un grand plan vertical, dressé entre deux des petits plots reliés par des chaines qui forment la seule barrière nous séparant de l’eau verte qui attire mes yeux vers la longue barque arrêtée contre un ponton de bois longeant les façades des maisons d’en face, ponton que suivent quelques silhouettes prêtes à embarquer, des touristes finalement, descendus par un escalier de pierre d’un pont qui traverse un peu plus loin sur la gauche le canal, pont vers lequel je vais suivant la promenade qui s’amenuise, devient simple trottoir bordé maintenant par un muret de briques ternes sommé de pierres sur lequel sont accoudées deux femmes. Je croise ou je suis des petits groupes, des passants isolés, portant presque tous les courtes doudounes de couleurs variées qu’impose ce printemps un peu aigre.Un peu avant le pont nous sommes rejoints par une femme et des fillettes portant cartables traversant sur des bandes blanches peintes la chaussée de petits pavés. Je suis ralentie puis bloquée par des femmes nez sur leur téléphone que je finis par dépasser en marchant sur la rue, leur lançant un regard de reproche qu’elles ne voient pas, reprenant pied sur notre bout de trottoir face à la très belle façade blanche ornée de moulures et sculptures peintes d’un gris très clair qui fait l’angle du canal et de la rue qui part dans le prolongement du pont, rue que j’emprunte en dépassant la brèche ouverte pour l’escalier dans le muret à coté de laquelle un homme debout, coincé entre une table et le mur, encaisse le montant de la promenade en bateau. La rue, assez courte, bordée d’une rangée de voitures, avance entre des façades de briques ou peintes de blanc ou de tons pastels, quasi vide, vers une rue perpendiculaire, un peu plus large, au coin de laquelle un groupe important écoute, sous une statue qui semble suspendue au-dessus d’eux, installée dans le coin coupé de la façade, un homme en blouson rouge qui parle avec de grands gestes, sans doute un guide ; le long du trottoir d’en face un restaurant italien, à l’apparence cossue est désespérément fermé, tout comme l’« Apéro-Tapas » qui le suit et devant lequel des sacs de pomme de terre sont en attente mais contrairement au « de verbeelding » qui aligne, derrière de longues tables de bois sous lesquelles sont rangés des tabourets de fer, de larges fenêtres donnant sur une salle vide mais éclairée dont la porte est ouverte. J’entre, je tourne sur moi-même, cherchant une présence, j’appelle mais en vain, je continue en suivant une femme, nous dépassons un groupe de gens appuyés contre un mur face à un homme qui porte sur une épaule un petit fanion belge, plus loin enfin une boulangerie.
PS ma promenade dans Bruges me servira de #13
» les yeux en mouvement » et vos mots qui font voir, qui font être. Merci Brigitte.
MERCI pour l’indulgence (mais les dix minutes pour taper et retaper chaque mot… me demande combien de fautes j’ai laissées, envie de renoncer)
Merci pour Venise (où je dois me rendre à l’automne, en train de nuit…), merci pour Bruges que j’aime énormément, et pour ton écriture qui a suscité l’évocation de bien des souvenirs.
grand merci pour ton passage