#anthologie #12 | 3 villes

Douarnenez.

On peut marcher le long de la corniche comme à la marelle : sauter de bond en rebond de la terre à l’océan. Au pied des vieux immeubles blancs aux toits d’ardoises une coulée d’escaliers vous balance sur la plage. En surplomb accoudés à la rambarde des promeneurs arrêtés à côté des poussettes : la ville bascule d’un côté vers l’autre indifféremment. Vu d’en haut sous les yeux un cliché de Martin Parr. Tranchant vif comme un fruit. Une paupière d’ombre et de lumière. Des voix montent se croisent et se perdent entre le jaune le vert et le bleu turquoise. Le parasol répand sa corolle rouge sang sur le buvard de la serviette couleur sable.

Monton

En quelque sorte la banlieue de Manchester. À cheval sur le canal à l’eau rouge. Nous venons d’arriver pour la cérémonie. Une rue principale de restaurants tout venant et devantures de faux Hollywood. Façades parfois pimpantes (criardes) souvent kitsch presque toujours déglinguées (regarde l’herbe entre les dalles déchaussées du trottoir, les affiches décolorées). L’ enseigne tanning studio sunset boulevard sur fond bleu arrache-l’œil, en vitrine brow bar luminescent, photo grand format du sunbed ouvert toutes lampes à bronzer allumées, marche et seuil en inox gravé de chevrons emboîtés – à côté la devanture News Agents Post Office rouge autrefois pétant, aujourd’hui écaillé et délabré – porte et vitres entièrement placardées : open money gram international money transfer everything you would expect from your post office say it with scratch cards bureau de change heated tobacco sold here day and night we are always alert SCA family fest western union international money transfer jaune vert bleu rouge rouge rouge. Planté devant le panneau de rue en tubes rouges eux aussi. Manchester evening news : visages ronds poudrés blafards, nez de clown, spectacular your Grandeys circus is back. Au bout de la rue (nids de poules, trous, pas de passage piéton « this place is so run down you would’nt believe ! ») la place avec le banc sous les premiers pétales.   La rolls blanche (les mariés enlacés pour la photo sous le cerisier encore bouffi de rose) garée pile devant la grande église en pierres massives, impeccablement alignées. Procession de vitraux ternes en ogives doubles tout le long. Monton Unitarian Church. Le porche d’entrée noirci (deux angelots, chacun dans la niche sale de son pilier, bouche menton nez érodés lépreux, yeux crevés, souillés de peinture rouge rouge rouge). De chaque côté de l’allée principale les tombeaux massifs, les stèles funéraires bancales verdies de mousse, in loving remembrance of Charles sous l’arbre à moitié caché derrière le tronc tordu vert comme les pierres, une osmose, Henry Tipping who died January 18th 1867. De l’autre côté de la place (la rolls repart emportant les mariés suivis du cortège jusqu’au pub) en flottaison au-dessus des murs de brique au-dessus des fenêtres à guillotine au-dessus des grilles des pompes à chaleur, l’enseigne lumineuse oubliée : FROM MONTON MERRY CHRISTMAS. Ici le temps a des sortes d’aigreurs.

Porto.

Sous le hublo irisé de lumière arc en ciel, opacifié de griffures, une auréole de nuages légers, comme survoler le cratère d’un volcan. Puis accompagnant la descente un brouillon anarchique de tôles concassées, un enchevêtrement de crêtes vives, brûlées, bousculées de reliefs fatigués, creusés, pelés bruns en leur sommet après la végétation sombre et boursouflée des flancs. Le massif est fissuré en toutes directions de lignes sinueuses et blanches bordées d’habitations rares, soudain troué de falaises abruptes plissées de noir profond. Au fond le fleuve d’un vert pâle écorche son eau contre les rides de cette paume rugueuse. On s’approche de la ville dans un immense désordre où se confondent le loisir et l’industriel : un bateau de croisière immaculé posé au bord de grands immeubles modernes, des hangars, des voitures minuscules sur un parking, pas loin les grandes citernes et l’ossuaire métallique de quelques grues.