et les phares des voitures d’un côté se suivaient en deux lignes de pointillés blancs qui longeaient sans jamais la croiser ni l’interrompre une ligne double de feux arrière rouges et rares devant moi Quand le relief se trouvait avalé par la nuit les files de points rouges semblaient monter vers un horizon vague et traversé de ce que j’imaginais être un pont ou une usine en veille ramassée sur elle-même dans un silence presque animal concentré dans l’attente d’une mise en route de machines Et c’était lié dans mon esprit au chevalet de mine qui surplombe le noir pour pousser sous un sol encore plus noir des monte-charges remplis d’hommes prêts à excaver J’étais à la surface car j’étais protégée privilégiée je n’avais pas besoin de soumettre mon corps à la sueur et à la ferraille je n’avais pas pour but de tordre chaque membre pour qu’il produise l’armée de bobines de cuivre et de boulons qui font que la besogne colle aux mains et les soumettent Mes mains sur le volant j’aurais pu les croire libres de choisir une direction mais je suivais la double file de points rouges dans la nuit chaque point se signalant comme quelqu’un attentif à rester calé sur la trajectoire précédente et si nous étions tous différents nous en arrivions au même point Là où l’autoroute atteignait un sommet bombé il y avait vue sur les files blanches et rouges arrondies en virages dédoublés dans une sorte de douceur calme car dangereuse parce que le sens des choses se perd dans la suite obligée de lumières ponctuées face à l’horizon et on oublie ce face à face parce qu’on n’a plus idée de la confrontation commune et intériorisée comme l’évidence qu’elle n’existe pas Je suis pourtant petite-fille et fille d’ateliers où on écume la mousse de la fonte en se penchant au-dessus de grandes cuves brûlantes fille et petite-fille d’enfants des rues jouant à la guerre et maigrichons fille et petite-fille d’un cordonnier venu à pied à travers la montagne cherchant de quoi nourrir son fils Le temps passe et Benoît est mort et je roule Et je suis déjà morte si j’oublie le triangle rouge cousu à son costume Dans les longues files rouges et blanches il n’est question que de mémoires et d’horizons et si cela s’efface nous serons désarmés et persuadés de choisir chacun nos trajectoires Le péage d’autoroute est une fin en soi ou un début vers la campagne sa halte fait ligne de démarcation entre une léthargie trompeuse et un élan et j’ai roulé longtemps pour traverser des places où l’aube tenait si peu de place vers cette rue unique qui finit en cul-de-sac devant la mer
2 commentaires à propos de “#anthologie #11 | route”
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(ah oui, oui) décidément je l’aime beaucoup
« on n’a plus idée de la confrontation commune et intériorisée comme l’évidence qu’elle n’existe pas » …. et que reviennent le face à face les yeux dans les yeux , merci pour ce magnifique texte