On roule longtemps en silence, moi j’ai la fatigue et lui peut-être aussi, vu l’heure Il m’a vu au dernier moment sûrement Une presque silhouette un peu claire Je marchais d’un bon pas avec le paquetage sur l’épaule Déjà un kilomètre ou plus après la gare Personne sur le quai Moi seul descends Un coup de sifflet strident le grincement de ferraille et les cognements du dernier train Prochain arrêt Labastide Déjà un bout de ville Là-bas que tout le monde va pour les petits commerces et Sortir l’habit du dimanche au restaurant La tonnelle fraîche au bord de la Rivière qu’on dirait des fois à l’arrêt, à cause de la petite retenue des pécheurs La petite cascade gargouillant derrière La terrasse des tables et les verres de vin blanc Le jour passé lentement à se dire les histoires d’ici et les nouvelles du monde De plus en plus fou Va mal tourner Sinon pour nous ici c’est le tube du boulanger, bien pratique pour la tournée des hameaux, et des fois le boucher Gamin à côté de la grand-mère et ses habits de tout noir, jusqu’à la croix. Les mains maigres et ridées de chaque côté comme des araignées pâles La gare c’est l’avant-dernier arrêt Juste pour rendre service ou par oubli Parce qu’un jour c’est sûr un des bureaux de la grande ville décidera : plus personne dans ce trou perdu, à quoi bon ! En attendant faut marcher Tu vas loin comme ça garçon ? Ou que tu ailles ici tu as encore de la route à faire ! Il est penché vers moi pour ouvrir la portière C’est bon d’entendre rouler l’accent Je sens au plus foncé la peau bronzée Aussi un béret Des doigts courts et costauds déjà revenus sur le volant. La route dans les cahots Ça dure un moment sans trop parler La lune brille intermittente sur le capot Entre les formes des arbres. Il arrête la voiture au croisement Là où j’ai dit : Les deux routes s’éloignent en aigu de la croix Il coupe le moteur Les petits claquements du métal qui a chauffé Maintenant le silence nous retombe dessus comme le couvercle d’une boîte Une chouette hulule Vraiment merci du bout de chemin ça m’a bien avancé Pas de quoi l’ami faut bien se rendre service Tu as encore long ? Non dans la bonne demi-heure mais je crains pas de marcher Sûr tu dois quand même avoir ton compte C’est pas trop dur ? Je lève vite la main pour arrêter ce qui viendrait de dire Ça va ça durera pas, et puis ça fait voyager Je ferme la portière je recule d’un pas Les points rouges s’enfoncent et clignent comme des braises Je tourne d’un quart sur moi Le premier chemin à gauche de la croix Je dépasse à droite le mur du sentier de la chapelle Les tombes emportées comme des radeaux de terre Je continue S’ils ont reçu ma lettre La nuit caresse mon visage Tout au bout une lumière tremblera
2 commentaires à propos de “#anthologie #11 | retour de nuit.”
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Très beau cette traversée dans la nuit avec l’attente de la lumière au bout, et ce cheminement en compagnie.
Merci Perle !