#Anthologie# 11 Retour de l’école, un soir ordinaire

Retour de l’école, un soir de décembre, dans la Meuse J’essaie de me souvenir, je n’ai pas vu de neige tomber depuis si longtemps Quelques filles sortent en même temps que moi et chahutent, je crois que je me concentre pour ne pas tomber, elles riraient de moi Au bout de l’allée, on arrive sur le large trottoir de la rue principale, il a sans doute été déblayé tôt le matin, j’avance lentement entre les deux talus de neige salie par les graviers, me méfiant des plaques de verglas invisibles Les phares éclairent la boue grisâtre sur la chaussée Il neige de nouveau, j’enfonce mon bonnet pour mieux couvrir mes oreilles gelées, je remonte mon cache-nez et ferme jusqu’au dernier bouton ma cape de feutrine noire à capuchon, je l’ai trouvée au grenier cette cape – elle appartenait dans le temps à ton grand-père, elle est bien chaude, prend la, m’avait dit la tante, le capuchon est assez profond pour contenir ton bonnet On y voit goutte avec toute cette neige qui tombe de plus en pus dru Dans la rue du Général Lemaire, beaucoup moins fréquentée, c’est pas pareil, le trottoir très étroit et tout cabossé penche vers le bas entre le pied du muret qui borde chaque maison et la route Une épaisse couche de verglas à peine fondue depuis le matin le recouvre Les bretelles de mon sac d’école à l’abri sous la cape me font mal, je me redresse, remonte bien mes moufles et j’essaie de me cramponner aux grilles des maisons. C’est extrêmement périlleux, mes pieds glissent comme à la patinoire, pas moyen d’avancer sans lâcher la grille Je me vois encore progresser en crabe, le visage fouetté par la neige verglacée, la nuit se fait noire, trouée seulement par quelques flaques de lumière jaunâtre très espacées, et sous le lampadaire la neige luit dans le faisceau de lumière et je regarde virevolter les flocons et déposer sur le feutre de ma cape des étoiles brillantes, j’aime quand la neige tapisse sans bruit le sol et j’aime laisser derrière moi la trace des semelles de mes brodequins à lacets Dans la rue du Charbonnier, une rue sans lampadaire, j’ai toujours un peu peur Un chien aboie il fait nuit il neige en silence et pour me rassurer je me récite à voix basse en boucle le début d’un poème appris à l’école Dans la nuit de l’hiver galope un grand homme blanc galope un grand homme blanc C’est un bonhomme de neige avec une pipe en bois, un grand bonhomme de neige poursuivi par le froid le grand homme blanc est là dans le noir, j’ai peur J’aperçois enfin la maison, la maison au crépi rouge grenat au petit balcon perché juste au dessus de la porte d’entrée, avec son tapis de neige épais et ses deux colonnes blanches le soutenant et donnant à la maison son petit air de majesté.

A propos de Nicole Busquant

Un certain goût pour les traces.

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