En penchant la tête à l’envers les tours s’enfuient le ciel reste bleu encore un peu plus profond déjà les nuages rapides Elles fusent la tête tourne la cheville aussi elle pousse un juron se mord la lèvre regrette regarde autour d’elle qu’on ne l’ait entendue les gens tous habillés tracent des diagonales en travers de la dalle de la Défense la tête en l’air inquiets Elle sait aux chaussures des femmes si elles sortent du bureau ou du centre commercial si elles ont des talons ou plates fatiguées toutes elle frissonne Elle pourrait directement aller de l’ascenseur du bureau aux quais du RER par en dessous elle écoute le bruit de ses pas c’est creux en dessous ça ne s’entend pas le son réverbère remonte s’envole se disperse dans l’air qu’elle aspire un air pas très pur un bol d’air quand même pas comprimé pas climatisé frais un bol d’air frais ce soir ils ont tous une image en boucle des tours effondrés un nuage de ciment ici la halle du CNIT a la forme d’un aéroport les tours s’enfuient mais tiennent contre le ciel Elle s’engouffre dans l’escalier mécanique emportée par plusieurs diagonales qui ici se rejoignent son allure est accélérée du mouvement des autres les marches sont hautes les marches bougent elle les descend et le bruit soufflant des portillons et des portes et le bruit chahutant des trains sur les rails et le bruit des épaules se frôlant des pas sans s’être rendu compte ça sonne la porte claque elle se tient à la rampe la rame démarre Elle trouve à s’asseoir dans ce sens-là le soir elle peut trouver à s’asseoir pas tous les jours elle se demande si elle trouve souvent ou parfois à s’asseoir il y a presque toujours un SDF qui passe elle se demande souvent ou presque toujours Le train file sous la terre Un Antillais jovial joue de son accent son amplificateur à la traîne il mime une rumba et fait son jeu comique elle le connaît elle l’a vu parfois ce soir il essaie mais personne ne veut rire il continue pourtant il fait la danse du porte-monnaie il appelle ça il l’apprend aux voyageurs vous voyez c’est pas compliqué il lève haut le coude et introduit la main à plat dans sa poche intérieure elle ne demande aucun entraînement cette danse vous la connaissez désormais messieurs dames à votre tour maintenant faites-la pour moi quelques uns rient il récolte quelques sous elle se demande comment il fait pour garder sa gaieté elle se répond c’est son outil de travail Elle change à Châtelet la lumière est identique à toute heure de la journée l’odeur est putride à tout jour de l’année il paraît que ça vient d’une veine de soufre que les tunnels du métro ont percée le bruit est métallique et le niveau sonore intense frénésie de partout des lettres sont accrochées au mur ou pendent de la voûte aussi crasseuse que le sol ça sonne la porte claque le second RER l’enfuit dans ses boyaux à Saint-Michel elle pense que tout le monde pense à l’attentat qui eut lieu ici dans son adolescence aujourd’hui tout le monde c’est sûr ça crispe jusque sous les roues qui écrasent les rails à Denfert la lumière des néons sur le quai devient rosâtre le mouvement de la rame est ascendant le ciel a disparu d’être passé sous terre c’est une bande anthracite au-dessus des caténaires les masses des immeubles sont noires avec des gens trop vite pour les voir vraiment dans leur cuisine la table des devoirs un blouson qui s’enlève dans un soupir partout souvent presque toujours la télé allumée les tours en train de tomber
5 commentaires à propos de “#anthologie #11 | la tête à l’envers”
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les bruits sont là, vraiment, et le regard que je sens tendre pour ces vies derrières les fenêtres… Merci!
c’est intéressant votre lecture, les bruits sont venus naturellement alors que j’ai l’impression d’avoir plus travaillé les lumières.
Je lis les flots de pensées les bruits les sons comme une musique de fond permanente sur le rythme d’un vagabondage de l’esprit. C’est très apaisant au final, je trouve ton texte très zen, comme un support de méditation. Merci Laure.
décidément, tout ce qu’on peut mettre dans un texte sans le vouloir… ou plutôt le contraire, tout ce qu’un lecteur y apporte avec soi. merci de ta lecture.
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