E est venu me chercher à la sortie de l’aéroport J’avais prétexté la mort de la batterie de mon téléphone et nous n’avions pas échangé un mot depuis mon départ du Grand Almira Hôtel à 3h du matin heure d’Istanbul Il savait que je pouvais la recharger dans un café, à l’aéroport, avant l’embarquement, après l’embarquement et dans les 3 escales de ce long retour à la maison Il n’était pas à la sortie de la zone de récupération des bagages Je l’ai attendu un peu avant la voie des taxis au niveau de la pharmacie Il n’est pas descendu prendre la valise J’ai compris sans qu’il le dise qu’il fallait que je me dépêche et qu’il ne voulait pas importuner les voitures derrière lui en restant trop longtemps sur place J’ai ouvert seule le coffre pour y hisser ma valise J’ai hésité à monter à l’arrière Je suis montée devant à ses côtés avec le regret de ne pas pouvoir m’allonger sur le siège arrière et dormir pendant ce long trajet de retour chez nous J’avais à peine vu le ciel J’ai noté que la lune était pleine La nuit à Istanbul est remplie des bruits de la ville, les voitures, les sirènes, les conversations, les muezzins, ici le chant des grenouilles est assourdissant Nous étions sur la grande route et rien ne me semblait familier Trois semaines avaient suffi à me rendre mon pays étranger La sensation de décalage était omniprésente et m’empêchait de dire un seul mot. « Te demander si tu as fait bon voyage serait absurde » J’étais épuisée par un tour de cadran à marcher, à m’asseoir dans un aéroport, dans un avion, dans un bus, dans un train, dans une navette J’étais épuisée par le silence qui s’installait entre nous de manière inexorable, et ce depuis bien avant notre départ à Istanbul J’ai dit : « pardonne-moi je n’ai plus la force » Il n’a pas demandé la force de quoi Nous avons fait le voyage du retour dans le silence qui depuis le 25 septembre s’était instauré entre nous Istanbul avait été la tentative de faire revivre ce qui peut-être finalement n’avait jamais existé Ma mémoire est fragile quand je suis fatiguée Tout est décousu J’oublie ce à quoi je pensais un instant auparavant Le paysage que je voyais défilé de ma vitre avait cette fragilité En superposition venaient les images des quarante minutes que j’avais passé dans le taxi pour l’aéroport d’Istanbul, la station de métro Haçi, les rues pavées, les hommes assis sur des tabourets bas au bord de la rue J’étais une entité élastique et je pouvais sentir la tension entre une partie de moi restée dans la ville de mille ans et celle qui était assise aux côtés de l’homme que j’avais épousé un an plus tôt et à qui je ne savais plus parler
Je renoue avec le fil de la dernière phrase de la proposition précédente…C’est donc bien ça. J’aime le passage où tu te sens étrangère dans ton propre pays. Un retour qui n’en est pas un ? Une nouvelle arrivée ? C’est Bouvier je crois qui dit que le voyage nous fait autant qu’il nous défait…
c’est beau, et probablement vrai, mais finalement toute ce qui passe dans notre vie
Touchée. Et j’aime beaucoup cette idée de l’entité élastique.
« J’avais à peine vu le ciel J’ai noté que la lune était pleine La nuit à Istanbul est remplie des bruits de la ville, les voitures, les sirènes, les conversations, les muezzins, ici le chant des grenouilles est assourdissant »