#anthologie #11 | devant la porte d’embarquement

Il n’attend rien du retour ni traces à retrouver ni preuves à inventer Il n’est pas pressé d’arriver espérant même secrètement être retardé de quelques jours Entre ici et là-bas, la tête à l’envers sans jour ni nuit dans les couloirs qui semblent infini chaque pas est dépourvu d’angoisse Le regard aveuglé par les néons des boutiques duty free il joue à deviner l’origine des accents des paroles furtivement saisie et sans raison certaine au plus fort du brouhahas des langues du monde mélangées il se sent enfin chez lui apaisé Sans un mot, pas même pour dire bonjour ou merci tout juste quelques hochements de tête serveurs et caissiers le croient probablement muet Il ne lâche pas son livre de poésie unique issue de secours où s’échapper si besoin mais il ne l’ouvrira pas une seule fois la présence du livre suffit comme l’idée du suicide suffit parfois pour supporter l’existence qui continue de passer au poignet Quelle heure est-il l’heure d’y aller non pas encore la porte d’embarquement a changé Il se relève fatigué sent l’odeur des cafés et sandwichs hors de prix aux alentours Certains voyageurs courent dernier appel Il ralentit le pas peut-être pour faire exprès d’être en retard voire de rater son vol L’idée de rester en transit pour le reste de sa vie ne plus avoir à se poser flotter dans l’attente avec l’espoir qu’elle ne se termine jamais Et si on effaçait le point de départ et d’arrivée la destination pourrait être ici où exister ne sert plus à rien Une dame lui demande si c’est bien là la bonne porte d’embarquement lui fait un signe la main comme s’il ne comprenait pas qu’il ne parlait ni français ni anglais ni aucune autre langue ni dialecte de ce monde Il cherche un siège à l’écart proche des toilettes au cas où le café bu provoque une envie pressante L’homme de ménage devant l’entrée jette un coup d’oeil à son téléphone l’air inquiet que se passe-t-il donc dans sa vie quel mauvaise nouvelle a-t-il reçu sur WhatsApp Le reflet sur les carreaux l’éblouit lui qui avance maintenant la tête basse La foule se lève d’un coup alors que la porte d’embarquement est ouverte lui reste assis et attend d’être le dernier à monter dans l’appareil Il doute encore Il est encore temps de faire demi-tour

A propos de Anh Mat

Né en 1982 à Toulouse. 24 ans après, départ pour Saigon où je vis et écris. Errances littéraires et audiovisuelles sur le web depuis 2013. « Il y a quelqu’un », nouvelle (revue nerval) « Monsieur M », roman (publie.net) « cartes postales de la Chine ancienne »,poésie (éditions Qazaq) « Retour sur soi » éditions Qazaq » « au sujet de la vidéoécriture » (revue Oeuvres ouvertes) « Người nước ngoài » revue Dires résidence numérique sur Glossolalies.net, programmé au festival « extra LittéraTube », Beaubourg contributeur régulier chez « les cosaques des frontières » anime le site www.lesnuitsechouees.com

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