#anthologie #11  | Claude Simon | nuit de marché

le jour de marché rendez-vous hebdomadaire était l’occasion de se retrouver au bourg  point de convergence Vendre les châtaignes que la callosité de ses mains permettait de libérer de leurs bogues impitoyables Les fromages de chèvre secs affinés moelleux ou frais nichaient dans leur cagettes coiffés de papier sulfurisé Remonter le chemin de cailloux grimpant un peu plus haut menait à la vieille guimbarde La deux chevaux aux roues brinquebalantes portait les espoirs d’une journée amicale rythmée par les marchandages sur les cours avec les maquignons, âpres négociations pour en fixer les prix A midi  le bistrot s’imposait comme une halte nécessaire Le pastis  coulait à flots A chacun sa tournée et sa re-tournée L’après-midi s’étirait insouciante Quand le soleil las de sa course quotidienne s’inclinait vers l’horizon Faiblissait de ses rayons enveloppant le village de son manteau de silence crépusculaire Les ombres s’allongeaient en silhouettes fantomatiques sur les façades des maisons Il remontait dans sa voiture observait les arbres ressemblant à des poyas suisses en bois découpés onduler à contre-jour dans la lumière déclinante alentours Les phares de la deuche à la puissance d’une lampe de poche proche de l’épuisement perçaient timidement l’obscurité éclairant approximativement les bas cotés non matérialisés de la route sinueuse qui le ramenait chez lui Il chantait à tue-tête porté par l’euphorie du pastis  La voiture comme un animal complice cabriolait sur les chemins défoncés pénétrant dans le noir épais du mois de novembre Les visages croisés Film sur écran imaginaire Hymne à la liberté à la solitude à la beauté simple La fenêtre ouverte dans cette nuit vaste Il était chez lui accompagné de quelques chants de grillons de lune Au loin la voix du pépé appelait ses chèvres routine immuable de cette campagne Titubant il était rentré à pied du bourg ses souliers connaissaient chaque pierre de ce chemin raviné Il en avait toujours réchappé 

4 commentaires à propos de “#anthologie #11  | Claude Simon | nuit de marché”

  1. Quel beau texte. ! On est si près de cette vie de campagne. La douce luminosité accompagne très bien le chant des grillons . Merci pour ce moment

  2. « ses souliers connaissaient chaque pierre de ce chemin raviné »
    Le résumé de toute une vie si bien écrite. Merci Françoise pour ce très beau texte où on voit, on entend en harmonie avec le lieu.

  3. envie d’y être et de profiter avec eux de cette journée amicale
    L’emploi des Majuscules est exemplaire, Bravo

  4. Merci pour vos passages amicaux à toutes… je suis sans internet actuellement pour quelques semaines et je suivrai quand ce sera possible
    Bel été