Dans le vaste parc ouvert au public il y a une mare avec un ilot central. Dimanche dernier un héron gris se tenait sur une branche morte. Il était voûté, il avait l’air vieux. Le chien tenu en laisse, un jeune épagneul breton croisé setter anglais, ne l’a pas dérangé. L’oiseau se tenant immobile au-dessus de l’eau, le chien n’a pas détecté de mouvement. D’habitude les hérons vont par paire ou par couple ; comment savoir s’ils forment paire ou couple ? Ils arrivent le cou étiré se pose comme des parachutes maladroits, repliant leurs ailes, leurs échasses cherchant appui sur le sol. Pour un peu, ils tomberaient. Quand la neige recouvre le parc, il n’y a plus de héron. Il n’y a pas non plus de promeneur. L’espace est immensément blanc et blanc aussi vierge que Terre Adélie quand Dumont d’Urville la découvrit. On le traverse alors en diagonale pour fouler le sol à longues enjambées. La couche de neige est parfois si fine que des fleurs jaunes et des brins d’herbe verte l’hirsutent. Tout est feutré dans ce cocon neigeux. Seuls les pas craquètent. Le chemin empierré fait le tour à peu près circulaire du parc. Il arrive que de la serpentine affleure en surface. Il suffit de la déterrer pour tenir dans sa main un joli œuf de pierre verte. A l’entrée ouest se trouve une aire de jeux avec un toboggan entouré de gravillons. Les enfants les jettent par poignées sur la pente inclinée qui se met à chanter. Inutile de les raisonner : toutes les mères qui s’y essaient échouent. Le petit train bleu jaune rouge n’existe plus. Il a été enlevé, non remplacé. On devine son emplacement à la couche de gravillons plus épaisse faisant le bonheur des petits mais pas de leurs mamans se tordant les pieds. Depuis peu, la commune a installé aux entrées est et ouest un dévidoir de sacs à déjections canines trivialement désignés de sacs à crottes. Deux rouleaux de sachets noirs sont superposés au-dessus d’une poubelle en métal troué. Le plus souvent, les dévidoirs sont vides. Plusieurs étés de sécheresse sont venus à bout d’un sapin d’Andalousie plus que centenaire. Une petite fille déposait une offrande de fleurs de branchouilles ou de petits cailloux chaque fois qu’elle passait devant. Et elle lui parlait. Elle a pleuré quand elle a vu l’arbre à terre. Les arbres morts ont été remplacés par des essences adaptées aux épisodes de fortes chaleurs et leur résistante au sec, chênes pubescents arbres de Judée pins blancs de Provence ou pins maritimes. Pour tenir droits ils sont attachés à grands renforts de cordes à de hauts piquets en bois. Leurs pieds disparaissent sous les herbes profitant de la terre nouvellement retournée. Un homme se tient immuablement debout sous les arbres à proximité d’un banc il n’est jamais assis. Il regarde son téléphone. Le plus souvent les manches de son pull sont relevées sur des tatouages colorés. Un anneau pend à ses oreilles. Il dit bonjour. Un homme avec un avant-bras et une main en plastique tient en laisse un fox terrier hargneux. Il a tenu la maison de la presse avec sa femme. Ils ont divorcé. Il a quitté la boutique. Deux dames se promènent avec leur bâton de marche nordique, veste polaire, chaussures de randonnée. Elles parlent beaucoup. Un troupeau de poussettes sur le chemin, des enfants en bas-âge accrochés aux montants et à leur doudou. Trois jeunes nounous discutent. De l’autre côté d’un grillage troué et rapetassé des poneys préhistoriques ont toujours été là rustiques et poilus comme des mammouths. Interdit de leur donner de la nourriture lit-on sur une pancarte.Les gens apportaient du pain sec. Ça les rend malades. Dans le clos où se trouvent les chevaux miniatures, il y a une mare à moitié asséchée. Sauf quand il pleut. Les grenouilles ont depuis longtemps disparu. Des arbres sont tombés, branches cassées. Tout ça forme un grand embarras dans ce bassin maçonné. Des canards colverts fanfaronnent. Les canes cancanent. Les coureurs du dimanche en groupe ou solitaires vous frôlent tout en sueur. La semaine, les pompiers courent à un rythme plus soutenu. On aperçoit les voitures rouges garées le long du mur. Chaque été, une cohorte de caravanes envahit le parc. Les gens du voyage s’installent pour un temps. Ils se branchent sur la borne à incendie qui dégueule. Les bacs à poubelle aussi. On évite de traverser le parc quand il est occupé.
2 commentaires à propos de “#anthologie #13 Allivet Bouvain en 745 mots”
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.
.. ah oui très bien vu ou bien senti la sueur des coureurs qui frôlent ceux qui marchent… un sujet d’étude sociologique ou psychologique à creuser?!…merci pour ce portrait réaliste qui me parle.
J’ai non seulement traversé le parc avec vous mais aussi les saisons, vu ces poneys. Et imaginé alors le causse Méjean, et les chevaux de Przewalski… me demandant si nous étions… Merci Cécile !