l’église était abandonnée, la région vidée de ses habitants, et je ne voyais qu’elle dans ce paysage de campagne, peu d’habitations autour et toutes désertées Jamais je n’aurais imaginé être attiré par une église J’étais parti sans intention précise, sans objectif, enfourchant le vélo acheté le mois précédent avec le mandat attendu Les horreurs de la semaine surgissaient à tout moment du jour et de la nuit Je revoyais brûler le village de D… K…, le lieutenant sauter sur une mine, j’entendais les cris des blessés, je comptais sans arrêt les morts, c’était un compte morbide, une liste de noms, de grades Il fallait que je quitte quelques heures le camp et la proximité des vivants Je m’étais éloigné de la ville y laissant les camarades de permission et j’avais roulé à vélo durant plus d’une heure ne sachant vraiment où j’allais, choisissant finalement de grimper la montagne pour admirer la vue sur la rivière et la plaine Et c’est là que je l’avais vue J’avais pensé à ma mère immédiatement, à ce qu’elle m’avait écrit, à son souci de me savoir incroyant, peut-être craignait-elle que je meure seul, vraiment seul, sans son dieu impartageable Mais là encore je n’avais pas en tête d’entrer dans cette église Après avoir posé mon vélo dans les broussailles, la marche reposait mes muscles, calmait mon cœur et le désordre de ses battements La terre rebondissait sous mes pieds fatigués, j’avais l’impression de ne pas toucher vraiment le sol Plus je me rapprochais de l’édifice, plus j’en distinguais la façade, le fronton sculpté, il y avait là des anges aux ailes immenses, des personnages à genoux devant un autre trônant, tous impossibles à reconnaître, on leur avait coupé la tête mais quand bien même je n’en aurais reconnu aucun Jamais je n’aurais pensé pénétrer un jour seul dans une église mais là elle s’était dressée sur ma route Mon aversion pour toutes les choses de la religion ce jour-là n’avait rien à voir avec ce monument de pierre au porche accueillant le pèlerin comme l’homme perdu que j’étais au fond Sur un banc de bois je me suis assis dans la fraîcheur du lieu, laissant le dehors à ses 30° C insupportables et humides, les yeux levés vers de petites statues à même les colonnes ou peut-être posées sur un seuil de pierre Je ne saurais rien dire des saints qu’elles représentaient J’ignorais même qu’ici on priait à notre manière je veux dire que la religion catholique était implantée dans ces contrées lointaines mais j’avais tellement à découvrir Une rosace diffusait une lumière gorgée de silence Elle éclairait l’autel surmonté d’une voûte étoilée Par endroits les murs blancs à l’origine avaient pris une teinte foncée grisâtre, se couvrant même de mousse brune Je me demandais de quand datait la fuite des paroissiens et de leur prêtre, à quelles horreurs ils avaient échappé ou non, quels éléments rebelles y avaient été poursuivis Je regardais autour de moi en pensant à la prochaine lettre que j’écrirais à ma mère pour calmer ses angoisses, lui faire savoir que j’étais encore vivant, que j’aurais prié à ma façon dans cette petite église bien que perdu dans ce pays où nous semions le désastre et le sang, et cela je ne saurais le lui dire
… ce temps de répit au milieu des atrocités en devient apaisant. Merci pour cette suite!
Cette pause de fraicheur est spirituelle même si le personnage de la scène semble éloigné de toute pratique de la foi . Les murs , la rosace, le pèlerin, tout respire la spiritualité. il semble apaisé et le lecteur aussi . C est réussi !
Merci, Carole, pour votre lecture. Je l’espérais ainsi que vous l’avez perçue… À vous lire !
Merci à vous, Eve !