J’ai voulu me renseigner sur sa date de naissance et puis j’ai laissé tomber – non mais j’ai trouvé, j’aurais pu en faire la numérologie, en chercher l’ascendant, en déterminer la position des étoiles galaxies maisons et autres joyeusetés cosmogoniques ou logiques ou quelque chose de ce genre – sous quelle étoile, sous quel signe sous quels auspices ? – il y a quelque chose de ce genre dans les vues qu’on peut tenter de percevoir de l’avenir – il y a quelque chose de ce genre – j’ai laissé tomber – j’aurais aimé regarder les lignes de sa main – les tarots les positions des constellations des planètes et des nuages et des flots (j’aurais aimé, oui) et la direction des vents et l’altitude des pensées et des sourires et des pleurs, oui, ça m’aurait plu – j’aurais voulu voir dans ces images-là quelque chose de beau – objectivement beau – en vrai tout est affreux sauf peut-être sa croyance
il devait avoir des frères et sœurs, des oncles et des tantes
j’ai voulu essayer de me représenter ce qu’il représentait pour celui qui l’interrogeait, j’ai arrêté assez vite parce que je n’aime pas la projection – et pourtant j’aime encore assez le cinéma (sauf quand il propose, par exemple, une personne aux yeux encore assez bleus qui s’ampute de son foie (c’est hors-champ, c’est vrai) pour faire plaisir, une espèce de gentillesse, à son mari) – après ça je me suis posé la question de la chronologie, j’ai regardé jour par jour pour son incarcération – et puis année par année pour lui, il signe la constitution de son pays quand l’autre arrive sur terre, juste après guerre, puis il devient ministre des affaires des étrangères et l’autre porte des culottes courtes – un passe-montagne fait maison sur le visage, deux triangles noirs un trou pour la bouche, deux autres pour les yeux
j’ai pensé aussi à Stanley Kubrick (un cinéaste qui, dans ces moments-là, élabore son Shining) (c’est une façon d’entendre la voix des morts) qui, dans l’idée de faire un film sur Napoléon (comme Abel Gance, oui, Raymond Pellegrin et toute cette smallah) avait réuni une documentation jour par jour de son règne – il paraît que je ne sais plus qui, Spielberg ou Coppola ou quelque chose dans ce style cet ordre cette classe ou cette nationalité avait l’intention de reprendre ce projet qui resterait décidément impossible à produire – sauf exception : c’est à voir, mais ces gens-là sont assez vieillissants – je n’avais pas l’intention de parler cinéma, mais cependant, Francesco Rosi, dans ces mêmes moments, ce mois d’avril, ce mois de mars et ce mois de mai, et encore en juin, malgré tout, tournait cette année-là avec dans le rôle principal Gian-Maria Volonté (« j’ai beaucoup d’estime pour lui » dit-il) (moi aussi) une adaptation du roman de Carlo Levi Le christ s’est arrêté à Eboli qui raconte l’histoire d’un médecin envoyé dans ce sud dans lequel, bizarrement, est né Aldo, parce que ce sud est un désert, et qu’il n’y a rien qui puisse aider ce médecin à survivre à son aversion pour le fascisme de cette ordure de Mussolini – j’ai pensé aussi au verdict prononcé vers le quinze avril de ce mois-là, lequel m’a fait penser à la peine de mort abolie dans ce pays-là en 1947 : que faisait-il, Aldo, quand cette loi fut votée alors qu’en Espagne on continua au garrot d’étrangler les opposants, jusqu’à la fin de cette pourriture de Franco, lequel l’avait restaurée pour les besoins de la terreur dans laquelle il voulait maintenir le pays – je me suis dit que c’était étrange que ces relents me viennent, aujourd’hui, j’ai regardé dans la rue
j’ai refait du café
à nouveau encore j’ai repensé à ces journées plus qu’à ces années, j’ai regardé et relu la plupart des mots, des centaines et des centaines de mots (sans qu’on le lui demande – je me suis demandé si on demandait quelque chose à une machine – l’ordinateur les compte : sept mille sept cent trente-cinq) déjà écrits à ce sujet lors des dialogues d’il y a deux ans – les moments importants, particuliers, spéciaux de sa vie, la naissance de ses enfants – trois filles, un garçon, de la même mère – celle du petit Luca, celle à venir d’une autre de ses filles – sans doute les sacrements, je n’y connais que peu en liturgie (chrétienne ou pas) mais une communion, certainement, des passages en confessionnal, des prières des absolutions, des aubes, des hosties (qui prennent un h), des vins et des chasubles et des papes – puis encore d’autres choses, sa dépouille déposée dans un caveau – dont Marco Bellochio fait un développement lors d’un épisode de feuilleton Esterno notte – je dois l’avoir regardé deux fois, en avoir gardé quelques souvenirs pour en faire quelques billets (non c’est l’inverse) – je me suis souvenu de ces moments troublés où il avait reconnu le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes, si bien que le chef de l’organisation de libération de la Palestine d’alors avait aussi œuvré pour qu’il soit libéré – j’ai pensé au front populaire de libération de la Palestine j’ai pensé à la fraction Armée rouge, à l’Armée rouge japonaise, à la guerre du Viet-nam, aux armes qui avaient tué son escorte, à celles qui s’étaient enrayés, à celles qui allaient servir et à bien d’autres encore – mais pourquoi ces idées-là me venaient-elles ?
sa voix, le timbre, le débit, les mots choisis
ses goûts culinaires et ceux tout court
je ne dis pas sa vie sexuelle mais tout savoir sur quelqu’un – comment est-ce possible, ce petit sourire qu’il a sur les images – ses vêtements, les vacances à la mer ou déteste-t-il l’eau – la montagne, porte-t-il une montre, des bijoux, une croix
à un moment, j’ai arrêté mais c’était juste pour mieux reprendre
« Le christ s’est arrêté à Eboli », oui, superbe film. J’aime comment tu nous fais partager ton écriture, ton travail d’écriture. Et je me dis que tu as eu drôlement raison d’adapter les propositions à ton ambitieux projet…