Il a trente ans le treize octobre, sur la photographie il pose devant un gâteau d’anniversaire rectangulaire recouvert d’une feuille en pâte d’amande sur laquelle est dessiné – il faudrait vérifier et pour cela aller chercher l’album de famille, le feuilleter, l’ouvrir à la bonne page – un personnage de bande dessinée. Gaston Lagaffe chaussé de ses éternelles savates est suivi de son chat et de sa mouette qui fouillent une poubelle. Elle est assise à sa droite. A sa gauche, passée sous son bras, la tête de son chien, Pouf. C’est un épagneul. Il a huit ans. Il copie avec application dans un cahier d’écolier, une leçon de géologie. La fenêtre à l’est, pas tout à fait en face d’elle, éclaire la page gauche du cahier jeté en travers du clavier de l’ordinateur dont l’ombre portée en diagonale sur la page de droite à peine obscurcit la feuille qui s’écrit. Sur la gauche au nord, la porte d’entrée étant ouverte laisse passer un filet de lumière. La mine du stylo bille BIC court après son ombre. Il a l’âge de commencer à parler, il dit il y a de la né sur la bouka. Un peu plus tard des hi’ondelles sur le fli. Il a vingt-huit ans, c’est l’été, il écoute en boucle un CD de Nina Simone dans son auto verte. Celle en forme de poire. Il a cinquante-quatre ans. Il arpente les plages normandes avec des chaussures de montagne. Aux Vaches Noires entre Houlgate et Villers-sur-Mer il rencontre un homme en slip de bain bleu qui lui fait des avances. La main droite a posé le stylo, le glissant au milieu du cahier, la pointe en bas le capuchon bleu en haut. Elle se crispe sur la souris, le gras du pouce reposant sur le bureau, la dernière phalange du pouce légèrement courbé touche le renflement noir tandis que l’index actionne la roulette à la recherche d’un relevé de carrière daté du 25 mai 2023. Il a dix-sept. Il est aide-familial sur l’exploitation familiale. Dans un tableau à deux colonnes, elle lit sur la deuxième ligne « du 01/04/1979 au 31/03/1980 période militaire ou guerre ». Elle entre en cinquième à la rentrée soixante-dix-neuf. Au mois de décembre, le cinq, elle a ses premières règles. Il a cinquante-cinq ans, il comptabilise cent cinquante trimestres tous régimes, essentiellement agricoles, hors armée. La main reprend le stylo bille BIC, note ces informations, le repose, reprend la souris, ferme le PDF, revient sur la page d’accueil. Il a quarante-deux ans. Un matin on lui diagnostique un infarctus. Durant la nuit il a pris un sachet d’aspirine, bien lui en a pris. Il ne boit pas ne fume pas. Il est stressé. Il a été exposé aux molécules actives des produits phytosanitaires. La causalité est difficile à établir. Le ciel s’assombrit. Le pouce qui tient le stylo présente un renflement au niveau de l’articulation. Comme les articulations de tous les doigts de la main gauche posée à plat sur la page de gauche. Le bout des trois doigts index majeur annulaire posés sur la page de droite, tiennent les feuilles déjà écrites et gonflées, aplaties. Il a trente-trois ans. On le retrouve sur une photographie en train de signer le registre des mariages à la mairie du troisième arrondissement de Lyon. L’adjoint au maire demande au couple s’il va venir s’installer dans ce magnifique arrondissement. Les jeunes mariés se regardent et éclatent de rire. Ils expliquent qu’il serait difficile d’y faire pâturer un troupeau de vaches. Il a vingt-neuf ans. Après son père et son grand-père avant lui, il devient à son tour chef d’entreprise de battages. A quarante-sept ans, elle hérite d’une moissonneuse-batteuse comme d’autres d’une Lamborghini. A présent la main gauche relève à quarante-cinq degrés le côté gauche du cahier. Il n’y a plus aucune lumière sur la page de droite sauf à allumer la lampe au coin du bureau à droite. Les veines légèrement saillantes et verdâtres tracent leurs sillons sur le dessus de la main droite dont la peau est désormais grisâtre par manque de jour.
… j’aime la lumière qui éclaire les mots, et les non dits, aussi. on a besoin de lumière! Merci !!
Oui on a besoin de lumière mais la nuit est là avec la proposition du soir. Merci.
Le titre tient en haleine dès la première phrase: on se dit « quel soir? ». Et ça ne vient pas, alors on relit. Eh oui, bien sûr, le soir d’un jour, et alors le texte prend de la profondeur, quelque chose nous happe, on relit les jours. Bien sûr: « le soir il sera mort ». Merci Cécile pour ce titre et ce texte.
Je prends ta remarque comme un encouragement à poursuivre. Merci !