La boîte était dans le grenier. Quand il est parti, elle était dans le grenier. C’était une petite caisse, une caisse en bois, une petite malle en bois. Elle était là, dans la maison, elle était vieille, déjà. Dedans, mon père avait mis toutes ses affaires avant de partir en France. Des papiers. Le papier où les employeurs mettaient des timbres pour prouver qu’on avait travaillé. Ce papier, il ne l’a jamais retrouvé. Elle contenait deux sacs qui se fermaient par le haut. C’était à l’oncle Gelsino, celui qui était parti en Amérique. Il y avait aussi une grande quantité de manuscrits. De notaires. Des manuscrits du seizième et du dix-septième siècle. Ils étaient encore là quand il retournait à la maison. C’était des manuscrits de notaires. Il ne se rappelait plus exactement. Tous les héritages. Mon père avait laissé ses papiers, des livres, des papiers de l’école. Des livres d’école. Des cahiers d’école. Il y a soixante dix ans maintenant. Dans cette malle, quand il avait quatre ou cinq ans, mon père avait trouvé un pistolet, quand il était gamin. C’était le pistolet que l’oncle Gelsino avait laissé quand il est parti en Amérique. Antonio l’avait caché sous son oreiller pour jouer avec. Sa mère l’avait découvert. Son père l’avait ensuite caché dans le grenier. Les balles avaient été retirées avant de ranger le pistolet dans la malle. Giovanni les avait jetées dans le feu. Il y avait un chaudron dans la cheminée, les balles y ont fait plein de trous. Cette histoire, c’est mon père qui l’avait entendue. Cette malle était encore là, Giovanni mettait l’argent dedans. Elle était en bois. L’extérieur était peint en gris. Elle avait un couvercle gris. L’intérieur avait gardé sa couleur bois. Je l’ai vue quand j’étais petite. C’est là que mon grand-père prenait l’argent tous les jours pour donner un billet de mille lires, tous les jours à quatre heures pour que nous allions nous acheter des glaces à l’épicerie. J’économisais la monnaie pour m’acheter une poupée. A la fin des vacances, j’avais entraîné mon père à l’épicerie de Paganica, sur la place, pour acheter ma poupée. J’ai vu une poupée blonde avec des anglaises et une robe bleue à pois, longue. Mon père n’aimait pas les blondes. Il la trouvait superbe. Il refusa que je l’achète. Enfin, il me dit qu’on l’achèterait le lendemain. Mon père réfléchissait toujours avant d’acheter. Elle coûtait quatre mille lires. Nous allions rendre visite à des amis ou des parents. Tous les jours, nous allions rendre plusieurs visites car mon père connaissait tout le monde. Quand on arrivait, tout le village était au courant car ma tante Maria Chiria annoncait : “Torna Antionio”, ce qui voulait dire Antonio revient. Le lendemain, la poupée blonde avait disparu. Le marchand nous dit : “Je l’ai vendue.” Je fondis en larmes, avec une tristesse infinie, comme si j’avais perdu quelqu’un, comme une promesse trahie. Mon père insista pour que j’achète une poupée brune avec une robe fleurie, verte. Pour me consoler, j’ai pu acheter une deuxième poupée beaucoup plus petite, avec un costume des années folles, gris, et une coupe de cheveux de l’époque. Nous avons rendu visite ensuite à deux familles. Mon père raconta à chaque fois combien j’avais pleuré pour cette poupée. Dans la première famille, la dame, Anna, me donna une très grande poupée en costume traditionnel, elle était aussi grande que moi. Elle était brune. Dans la deuxième famille, à Pezzutilo, c’était la sœur de la marraine de mes sœurs, Antonina, qui s’appelait Luigina, qui s’émut de ce récit. Elle avait un fils et une fille. Elle appela sa fille pour lui demander de me donner la poupée qu’elle avait sur sa table de nuit. C’était une poupée nue sous un drap de plage, en caoutchouc, blonde avec les cheveux longs. Je refusais. Mon père refusa. Ma mère refusa. Luigina insista. Sa fille se mit à pleurer, discrètement, il n’y a que moi qui la vis. Je dis à mon père : “Regarde, elle pleure.” Mon père dit à Luigina : “Elle pleure.”. Luigina dit à sa fille : “Mais non, elle ne pleure pas”. Cette petite fille, je l’ai admirée toute ma vie, aussitôt, elle illumina son visage d’un grand sourire pour faire bonne figure. J’étais contrainte d’accepter. Son sourire s’est éteint. Cette poupée, je l’ai gardée sur ma table de nuit jusqu’à mon départ pour Strasbourg après le bac. Je l’ai perdue depuis. La grande poupée en costume, j’ai longtemps joué avec puis je l’ai remisée dans le placard de la chambre de mes parents à Florange. La poupée brune à robe fleurie, je l’ai toujours gardée avec moi. Je l’avais achetée avec la monnaie des glaces de mon grand-père. La petite poupée des années folles aussi. Je les garde dans une mallette en osier que j’avais achetée avec ma première paye, après le bac, quand j’avais travaillé à la Sollac en faisant le ménage pour Onet, dans une boutique à Florange près de l’église, pour préparer mon départ à Strasbourg. La malle grise en bois avait un cadenas. Elle a disparu dans le tremblement de terre de 2009.